La Force des Mots : Maître Konaté et l’Art de la Conversation (MDF154)

Minter Dialogue avec Maître Mamadou Konaté

Maître Mamadou Konaté est avocat, ex-Ministre de la Justice du Mali et auteur influent. Ensemble, nous explorons les multiples facettes de la vie de Konaté, de son enfance au Mali à ses études en France, en passant par son rôle de père et de mari. Maître Konaté partage des anecdotes personnelles et professionnelles, notamment sur l’impact de la cécité de son père et son engagement contre la corruption. Nous discutons également de l’importance de la conversation, de la culture et des valeurs dans la société africaine, ainsi que du rôle crucial des griots (dans la société mandingue qu’il connaît bien). Un échange riche en réflexions sur la justice, la politique et la communication.

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Et auteur d’articles : Un grave détournement de la loi sur le règlement préventif par le juge : le cas d’une suspension des poursuites individuelles ordonnée en violation de la loi et hors esprit du texte de l’AUPCAP de l’OHADA applicable, (Ohadata D-13-14), Les arbitres et avocats africains face à l’arbitrage international, (Ohadata D-11-93), L’implication des professions juridiques et judiciaires dans le renforcement de l’application du droit OHADA, (Ohadata D-14-01), L’OHADA et les autres législations communautaires UEMOA, CEMAC, CIMA, OAPI, CIPRES, etc… (Ohadata D-11-91), La consécration des sûretés spécifiques OHADA : réserve de propriété, droit de rétention, cession de créances (Ohadata D-10-63), Brèves observations sur l’exécution des sentences arbitrales rendues contre un Etat partie au traité de l’OHADA (Ohadata D-10-53), Gestion de crise en Ohada : anticipation conventionnelle et statutaire – Gestion négociée et règlement des conflits internes (Jurifis info, n° 4, juillet-août 2009, p. 2.), L’implication des professions juridiques et judiciaires dans le renforcement de l’application du droit OHADA (Ohadata D-14-01). La nécessaire réforme des institutions de l’Organisation Pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, (OHADA D-18-14)

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    Transcription de l’entretien avec Maître Konaté

    Minter Dial :

     Maître Konaté. Je suis ravi de vous avoir sur mon podcast. Nous nous sommes rencontrés non seulement digitalement, mais réellement en personne à Paris. J’ai été enchanté par des histoires que vous m’avez données et ça m’a donné besoin, pas juste envie, de vous avoir sur mon podcast, de parler de la conversation. Vous êtes avocat, ex-Ministre de Justice du Mali, auteur homme très influent sur les réseaux sociaux, mais dans les mots de vous, qui êtes-vous ?

    Maître Mamadou Konaté :

     Aussi simplement, je suis Mamadou Ismaïla Konaté. Je suis originaire du Mali où je suis né et où j’ai grandi jusqu’à mon bac. J’ai eu l’occasion de venir poursuivre mes études universitaires en France, et précisément à Bordeaux, où je suis arrivé un matin de septembre des années 80, à la rencontre donc d’une université de renommée, et en même temps au contact de gens dont je faisais la découverte, que ces gens soient africains, originaires d’Afrique, et d’ailleurs, je me suis retrouvé curieusement dans un amphithéâtre avec 1800 étudiants dont près de 20% étaient assis au milieu des escaliers et lorsque j’ai levé la tête que j’ai vu que le prof n’était pas présent dans l’enceinte de l’amphithéâtre mais qu’on était dans deux amphithéâtres de deux fois 1800 étudiants à l’époque et que la compétition devrait s’ouvrir entre nous, je me suis dit, bonhomme, ton aventure est presque ambigüe, comme j’ai l’habitude de le dire, et en disant l’aventure ambigüe, je pense notamment à ce merveilleux auteur que j’apprécie tant et qui a eu l’occasion de me dédicacer son ouvrage, l’aventure ambigüe, je veux parler de Sheikh Hamidoukhan. Je suis le seul garçon issu d’une fratrie de cinq personnes, À côté de moi, que des filles qui me rendent la vie tellement facile que mon genre n’existe pas deux fois à l’intérieur de la maison et mon sexe non plus. Et à côté, j’avais un père merveilleux que j’ai perdu depuis, qui m’a appris les choses de la vie aux côtés d’une mère qui était encore plus merveilleuse. et qui a pris en charge cette fratrie qui nous a éduqués, qui nous a appris à lire, à écrire et qui nous a donné de bonnes occasions d’être fiers de nous-mêmes au bout du compte. Et dans cette maison, la première référence reste la solidarité et la deuxième référence reste les principes fondamentaux qui permettent aujourd’hui de bâtir un socle familial Et la troisième valeur qu’on nous a inculquée, c’est qu’il faut se battre pour soi, se battre dans la vie. Ne jamais se battre contre les autres, même quand ils vous menacent, mais se battre pour simplement être présent dans la vie, simplement donner de la voix et simplement être indépendant et autonome tout le long de ma vie. C’est ce que j’ai tenté de faire. Je ne sais pas si j’ai réussi à tous les coups, mais voilà les choses qui, aujourd’hui, me déterminent dans cette vie. Et je suis marié à une femme de Guinée qui m’a donné la chance d’être le père d’une fille qui est tout aussi merveilleuse et qui a eu la belle idée d’aller se marier ce mois de juin passé avec un Sénégalais comme si l’UE-Moi et la Sudéo n’étaient pas présents à la maison. Ma grand-mère est originaire de Guinée, ma mère est originaire du Sénégal, mon père est Malien, J’ai épousé une femme guinéenne et on a une fille qui est à la fois malienne guinéenne et française et qui a marié un citoyen sénégalais donc du coup elle est sénégalaise et depuis deux mois elle nous fait le bonheur d’être grands-parents et nous nous enrichissons et c’est un bonheur absolu. Voilà en ce qui me concerne et puis au professionnel je suis dans le maniement des mots dans le maniement de la parole, l’utilisation des mots dans le cadre de la parole me permet de construire des phrases qui peuvent être selon logique ou illogique, raisonnables ou non raisonnables, le tout étant de porter la parole au secours de la défense d’une cause, d’un individu ou d’une idée en particulier.

    Minter Dial :

     Eh bien, ça en fait des choses. Je ne sais pas par où commencer, mais premier constat, extrêmement multiculturel et félicitations pour le petit enfant, l’expansion de la famille. Dans votre récit, vous avez parlé de votre père et pour avoir un tout petit peu étudié votre cas, votre père a perdu la vue. Et je me demandais combien ça aurait orienté, changé votre relation avec votre père, parce que c’est un handicap important.

    Maître Mamadou Konaté :

     Un brave type. Un brave type, vraiment un brave type qui ne m’a jamais donné l’occasion de me rendre compte que j’avais un père non voyant. Je suis né dans une maison, je n’ai jamais eu la chance d’avoir un père voyant. Mais je n’ai jamais manqué de rien. Et chaque fois qu’un lieu et place d’un père voyant, il fallait changer d’ampoule à la maison. Il fallait remettre de l’ordre dans un coin de la maison. Il fallait apprendre à lire et à écrire, il fallait apprendre à raisonner, il fallait avoir une bonne connaissance de l’histoire et de la culture de notre pays, le Mali, mais également de l’Afrique. Il fallait évoquer les situations politiques de jadis, depuis les époques révolutionnaires, et mon père aimait bien évoquer Gamal Abdel Nasser d’Égypte, il aimait bien évoquer la guerre d’Algérie, il aimait bien évoquer la réunion de l’USRDA, Bamako, la constitution des grosses fédérations africaines, notamment la fédération Mali, Guinée, Ghana. Puis, dans le cadre de la fédération avec le Sénégal, toute cette histoire m’a été contée, m’a été apprise, et tout ce que je savais faire, que je sais faire aujourd’hui, m’a été appris par un père non voyant, donc je n’avais pas de raison de me mettre plus mal à l’aise du fait que mon père n’était pas voyant parce qu’il ne m’a jamais donné l’occasion de se rendre compte et mon père ne s’est jamais lamenté de rien du tout. J’ai eu affaire à un père brave qui était là quand il le fallait et qui jouait la plénitude de son rôle, de sa mission et de l’ensemble de ses priorités de père. Il était reconnu comme tel au sein de la famille, d’abord par ma mère, ensuite par les enfants et ensuite par toute la communauté qui nous entourait. Et tout le monde a eu l’occasion de me voir collés à mon père, bras dessus, bras dessus, comme des vrais amoureux, ceux qui ne le sachant pas, non-voyants, ne se rendent pas compte pourquoi on est si collés, et c’était aussi le cas pour ma mère d’ailleurs, qui a été la première à nous apprendre à diriger une personne non voyante. Et mon père s’est tellement bien battu dans la vie pour la communauté des personnes non voyantes, mais pour la communauté des personnes handicapées, que franchement je n’ai que du respect pour lui, Il n’est pas là aujourd’hui, mais jusqu’en 2015, j’ai pleinement joui de la présence d’un père. Il m’a toujours accompagné, a toujours été présent à mes côtés et a toujours validé mes options dans la vie. Sauf lorsqu’il s’agit de se marier, c’est moi qui ai décidé que je me mariais. Je lui ai montré la personne que je voulais épouser. Franchement, je regrette mon père et je pense que c’est l’occasion également pour ma mère, qui a 82 ans aujourd’hui, et pour mes sœurs, de regretter mon père. Un personnage tellement brave, tellement présent, tellement complet que vous vous rendez compte véritablement quand il n’est pas là. Et aujourd’hui, on se rend compte qu’il n’est pas là et il nous manque.

    Minter Dial :

     Évidemment, dans cette question, je ne m’attendais pas à la réponse. À quoi je pensais, puisque ce dont j’ai envie de parler avec vous, maître Konaté, c’est la conversation. Et dans la conversation, il y a souvent beaucoup de sens qui sont apportés pour comprendre, apprivoiser l’autre. Et je me demandais à quel point le fait qu’il était non-voyant, parce que j’ai eu une amie à moi non-voyante et je m’en souviens très bien des leçons qu’elle m’avait apprises par rapport à sa capacité d’entendre. Avec Louis à un niveau bien supérieur à ce que j’avais moi. Et je me demandais si ça avait eu un rôle, un impact sur vous.

    Maître Mamadou Konaté :

     Énorme. J’ai toujours été ébloui par la capacité de mon père à mémoriser les histoires. Il avait un sens en moi, les yeux, c’est qu’il lui donnait sans doute l’occasion de se concentrer notamment dans ses échanges avec les personnes. Je l’ai d’autant plus senti que jeune, quand il m’arrivait d’avoir des conversations très peu construites avec mon père et que je voulais l’épater justement à quelques endroits qui me posaient des questions et que je répondais par-ci ou par-là et souvent avec des petits mensonges, Au bout du compte, mon père arrivait toujours à déceler dans la conversation ce qui ne paraissait pas être véritablement normal. Juste un exemple. J’étais dans les petites classes lorsque ma mère m’a suffisamment mise en garde que les sorties étaient interdites et que les heures de fin de cours, de retour de classe devaient être consacrées justement pour travailler ses devoirs et puis les rendre convenablement. Ma mère étant enseignante, avant de dormir, elle nous faisait toujours réciter les leçons et puis s’assurer qu’on était véritablement à jour. Et lorsqu’on n’y arrivait pas le soir, qu’il était tard, elle nous réveillait le matin très tôt. et j’ai dû très mal travailler au cours d’un trimestre donné dans des petites classes lorsque le bulletin est arrivé et que je me suis rendu compte véritablement que je ne m’étais pas très bien démerdé, que j’allais sans doute être grondé et même se faire prendre des coups à la main de mes parents. J’ai dû regarder par deux, trois endroits pour changer les notes d’une matière de classe par rapport à une matière de composition et je n’ai jamais compris comment mon père à qui ma mère lisait mes bulletins, s’était rendu compte d’une incohérence qu’il y avait entre une note de classe et une note de composition et sur la base d’un coefficient. Ma mère l’a lu vite et est arrivée donc à la finalité, lorsque mon père lui a demandé de revenir sur des matières spécifiques, il avait décelé justement qu’il y avait quelques anomalies. Et sur ces bases-là, il a attiré l’attention de ma mère sur le fait que c’était assez incohérent. Et on a repris les calculs, bien évidemment, c’était assez incohérent. Mon père m’a posé la question si j’avais touché au bulletin. J’avais dit honteusement non alors que j’avais touché. Mon père a demandé à ma mère d’aller en classe pour s’assurer auprès de la maîtresse de l’authenticité de mon bulletin. Sachant bien qui était mon père et jusqu’où il pouvait aller, et dès le lendemain je me suis réveillé, j’ai dit à ma mère qu’il ne s’agissait de rien d’autre, que c’est moi qui avais commis la bêtise, que le bulletin que j’avais présenté était un bulletin falsifié. Voilà, une petite anecdote sur la capacité d’écoute de mon père, sur sa capacité d’appréhension, et surtout j’étais fasciné par mon père qui n’avait aucune note, qui n’avait aucune espèce de chose auquel il pouvait se référer, mais il prononçait toujours aussi bien en français que dans la langue locale des phrases correctes, bien construite, bien argumentée, bien logique. Et c’était d’autant plus fascinant que lorsque j’avais fini d’écouter mon père, je n’avais pas compris les trois quarts de ce qu’il avait dit en français, je m’enfermais justement dans la douche. Pour me doucher et c’est le moment que j’aimais le plus parce que j’y passais du temps à essayer de répéter les phrases de mon père, bien évidemment qui était à la fois incohérente et imprécise parce que quand vous n’avez pas compris les trois quarts de ce qu’il disait, vous ne pouvez pas le reprendre véritablement. Mais rien que donner l’impression que je parlais moi aussi sans notes, que je disais des choses qui pouvaient avoir quelque cohérence, même si elles étaient totalement incohérentes, m’excitait un peu, me donnait l’impression que j’étais dans la peau de mon père. Je m’amusais par exemple à faire des reportages de matchs de football en français, je m’amusais à raconter des histoires, je m’amusais à dire des tonnes de choses juste pour mes propres oreilles à moi, pour me donner l’impression que moi aussi je pouvais m’essayer, que moi aussi je pouvais y arriver, comme mon père. Et voilà comment mon père a été pour moi le symbole, la référence de la prise de parole d’une part, le symbole et la référence de l’articulation d’autre part, Et le symbole est la référence justement de la recherche, de la logique. Et la logique raisonnée est la logique raisonnable. Et la parole a le sens que lorsque dites, elle sonne dans l’oreille des gens et elle parle dans l’oreille des gens. Je n’aime pas toujours quand on finit de parler, quand on vous demande pardon, deux choses, ou ce que vous avez dit n’était pas audible, ou ce que vous avez dit n’était pas suffisamment cohérent pour paraître aux yeux de l’autre en face et dans ses oreilles, que vous avez parlé comme un homme. Un homme c’est construire la phrase, ça commence par un sujet, ça se poursuit par un verbe et ça se termine par un complément. Et je dis toujours aux gens, que moi j’ai appris à parler, notamment en français, en faisant des phrases sans toto-nama, nama-toto, toto-nama et nama-toto. Et une fois qu’on a fini de dire ça, on est sûr qu’on a dit quelque chose qui parle aux oreilles des gens, et on sait également qu’on a exprimé véritablement une idée, une opinion, dans le cadre de ce que nous avons essayé de transmettre.

    Minter Dial :

     Alors, Ce qui est intéressant dans ce que vous avez dit, pour moi, ce que j’ai retiré de ce que vous avez dit, c’est que vous avez l’honnêteté d’admettre que vous avez fait une faute. Je trouve que c’est un point très important dans la conversation, puisque c’est le sujet que je voulais aborder avec vous, cette capacité d’admettre qu’on a fait une bêtise, là en l’occurrence vis-à-vis de votre père. Le deuxième point qui n’a rien à voir, mais juste comme ça, parce que ma tête y pense, vous vous êtes douché ou vous nettoyez quelque part. et il a un peu de pureté. Ensuite, troisième point, c’est l’importance du mot. J’ai envie de rajouter à ça, enfin, je parlerai du verbe. Il y a le compositeur français Fauré qui a dit, dans la chronique de Jean Racine, le verbe égal au très haut. Et dans cette notion de verbe, j’attache peut-être par erreur, mais l’importance de la connaissance. Et aujourd’hui, me semble-t-il qu’une des difficultés qu’on a pour avoir de belles et profondes conversations, c’est l’incapacité de se mettre d’accord même sur la définition des mots, et le partage en commun de la connaissance. Et je voulais savoir ce que vous en pensez de cela.

    Maître Mamadou Konaté :

     Derrière les mots, je pourrais poursuivre les concepts. Et la notion de concept renvoie à l’environnement, et l’environnement est directement en rapport avec l’homme. Et quand on parle de l’homme, on parle du sujet homme, mais on parle également de l’homme dans son environnement, de l’homme dans sa culture. On peut se retrouver dans une conversation à plusieurs, originaire de plusieurs contrées, où le mot, le concept que vous avancez ne percute pas sur moi de la même manière que vous le ressentez. Aussi simple que bonjour, il y a un certain nombre de cultures qui produisent des choses brutalement. Par exemple, On dit, dans une culture bamanan, qu’il n’est pas nécessaire pour un homme, en parlant, non seulement de trop parler, mais de tout dire. Il ne faut pas trop parler parce que d’abord vous n’êtes pas le seul interlocuteur, il y en a d’autres qui doivent parler après vous, donc la gestion du temps. vous impose véritablement de penser aux autres également qui doivent réagir, prendre la parole à votre suite. Et le deuxième élément, c’est que votre interlocuteur a un temps minimum pour entendre, pour comprendre et pour se trouver le moyen de réagir par rapport à ce que vous dites. Et troisièmement, on dit, Non seulement vous n’avez pas besoin de trop parler pour le temps, vous n’avez pas besoin de tout dire, parce qu’en disant tout, vous risquez de dire des choses qui peuvent être par la suite embêtantes. En termes clairs, le proverbe qui le dit dans ma langue dit, si vous voulez parler de tout ce qui vous concerne, vous risquez d’évoquer des parties de votre corps qui ne sont pas drôles. On dira également toujours dans cette culture bamana, dans cette culture mandingue, où la circoncision existe. Je dis tout brut la circoncision pour que vous puissiez percuter. C’est le fait d’aligner des jeunes garçons entre 4, 5 et 6 ans jusqu’à la fin de l’adolescence, et qui passe donc devant le forgeron, parce qu’en l’occurrence c’est le forgeron, maintenant c’est très moderne, on va à l’hôpital pour se faire couper le petit bout du prépuce. On n’appelle pas la circoncision d’Amalang, on dit faire à soi les jeunes gens. Les faire à soi devant le faire. C’est une manière subtile de parler de circoncision sans jamais parler de prépuce, pardon du terme, sans jamais parler de quéquette des enfants, sans jamais parler de couper la quéquette des enfants. Par exemple, évoquer une femme enceinte, on ne dit jamais « elle est enceinte », on dit « elle est arrêtée ». Elle est arrêtée, ça veut dire qu’elle est en phase de procréer. Parce que dire d’une personne qu’elle est enceinte, c’est oublier le fait que ce phénomène n’incombe pas aux hommes, mais il incombe à Dieu. C’est lui qui donne la vie, c’est lui qui l’arrache. La grossesse commence par un premier jour. Et se prononce normalement jusqu’au neuvième mois, et durant toute cette épreuve, on dit de la femme qu’elle est arrêtée. Toujours dans ce jargon, on dit également d’une femme qui connaît ses menstrues, on ne dit jamais elle a ses menstrues, on dit elle a la main dans l’eau. Et si vous êtes en face de moi, que je vous dis, tiens on a fait à soi, les jeunes gens devront le faire, tiens, la femme est arrêtée, tiens, l’autre femme a la main dans l’eau, vous ne comprendrez absolument rien parce que la parole est intimement liée à l’individu, l’individu lui-même est le fruit de son environnement et cet environnement ne peut pas échapper à la culture. La façon de penser, la façon de croire, la façon de dire, prennent des trajectoires qui sont les plus grandes déterminantes de l’homme. Et l’avantage et la chance que nous avons dans un contexte français et européen, c’est que nous, nous avons fait l’effort d’aller vers cette culture française et occidentale, de nous installer dedans, de l’entendre. De la comprendre, de la domestiquer, de parler la langue, de faire référence à l’histoire, de faire référence à la culture, en plus de l’immense culture et de l’immense pouvoir qui sont les nôtres là-bas, on semble fruit d’une double culture, et la double culture est le premier signe de la richesse de l’homme.

    Minter Dial :

     J’adore. Il va de soi qu’il y a toujours un contexte autour de ça et certainement on pourrait débattre beaucoup, discuter beaucoup de l’importance du verbe, le mot, la définition de chaque mot, ensuite les cultures différentes, l’histoire de connaissances et de l’histoire avec H majuscule. Je suis frustré, mais je voudrais quand même aborder le sujet que vous m’avez expliqué, vous nous avez expliqué autour d’un dîner extrêmement agréable, sur la notion du griot. C’était la toute première fois que je suis tombé du ciel là-dessus. Je suis désolé pour mon côté inculte, mais le griot et comment le griot joue un rôle important dans la société et notamment à travers la conversation. Pouvez-vous nous expliquer de manière un peu courte, parce qu’on n’a pas tout le temps, parce que ça c’est la rareté de nos ressources, mais en tout cas ce que est le griot et comment le griot joue un rôle important en utilisant la conversation.

    Maître Mamadou Konaté :

     Alors le griot, d’abord un, pour le contextualiser, ce sont dans les sociétés mandingues qu’on retrouve le griot. C’est les sociétés de l’Afrique de l’Ouest et un peu au-delà. Et les griots sont porteurs de noms très spécifiques. Vous entendrez souvent qu’ils sont kuyatés, qu’ils sont diabatés, et d’autres noms, kuita. Les griots sont les conteurs. Les griots sont les historiens, les griots sont les maîtres de la parole, et les griots sont aussi les porteurs. Alors, certaines conceptions vont jusqu’à dire que le griot est le transmetteur de la parole, mais en le réduisant à cela, on oublie la quintessence de la mission du griot. Alors je disais, il est tout cela. Le griot est celui qui est aux côtés, souvent du roi, en tout cas affilié à une famille, et ça se passe de génération en génération. Moi, Mamadou Konaté, j’ai une famille de griots. C’est là que je vais aller solliciter, chaque fois que j’ai un besoin de griot. Le premier besoin de griots, c’est par exemple lorsqu’il y a des événements importants, à l’intérieur de la famille ou au sein de la communauté familiale, que tout le monde est réuni. Généralement, les nobles ne prennent pas la parole en public. Et les nobles ne prennent la parole en public que par la voix du griot. C’est celui-là qui connaît très bien le chef de famille, le chef de canton, le chef coutubier, le chef de dudage, Le chef de façon à dire. Chaque fois qu’il y a un événement du genre mariage, du genre décès, du genre baptême, du genre même conflit, je pourrais en parler deux mots après, c’est le griot qui est présent. C’est lui qui s’adresse à la masse de gens venus à l’occasion de cet événement pour parler au nom de la famille, pour parler au nom du chef de la famille, pour parler au nom du Théâtre Village. C’est lui qui prend la parole d’abord sans que rien ne lui est demandé parce qu’il connaît les codes pour saluer les gens, pour les remercier pour leur présence et pour leur dire combien le chef de famille, le chef de village est heureux de les avoir au tout début. Et deuxièmement, c’est lui qui évoque le sujet ou l’objet de la rencontre. Et troisièmement, c’est lui qui exprime ce qui a lieu d’être dit dans le cadre de cette rencontre. Généralement, il est allié à une famille, et dans l’hypothèse d’un mariage, c’est toujours dans la famille du mari qui est reçu le couple, dans un premier temps, et c’est dans cette famille également que l’on reçoit la belle famille. Il faut parler de la famille, pour rappeler d’où vient le garçon qui est candidat au mariage, pour rappeler de quelle famille il est, pour rappeler les valeurs et les principes absolus et cardinaux de cette famille. et il laisse la parole donc, oui.

    Minter Dial :

     Alors, j’ai lu qu’on ne devient pas griot, on est griot par les liens particuliers. Et si vous dites ça, j’ai l’impression qu’il y a un sujet qui est, on dit souvent en anglais en tout cas, l’éléphant dans la chambre, l’éléphant rose dans la salle. Et combien le griot a ce besoin aussi de surélever le sujet non-dit, les choses qui sont difficiles à dire, ou est-ce que ce n’est pas le rôle du griot de rentrer dedans, dans les sujets qui font parfois un peu mal parce qu’on n’a pas envie de parler de ce sujet ?

    Maître Mamadou Konaté :

     Il est d’abord un fin psychologue de griot. il est en possession de toutes les idées, et étant le maître de la parole, c’est lui qui doit trouver les mots justes pour transmettre la parole sans jamais fâcher personne. Son rôle est beaucoup plus d’allier que de mésallier, de construire plutôt que de déconstruire. Et son rôle et sa mission sont tellement importants que ça se sait dans les hypothèses où il doit prendre la parole pour évoquer un conflit. Par exemple, un conflit entre un homme et une femme dans le cadre de la conjugalité, un conflit entre deux villages ou des tas de motifs, un conflit au sein d’une famille. C’est lui qui connaît les individus, c’est lui qui connaît les références culturelles des individus, les valeurs et les principes qui rappellent aux individus, pour dire par exemple « Mamadou Konaté, tu n’as aucune espèce de raison de t’en prendre à Minter ». Qui est celui qui est venu de si loin, celui qui ignore nos valeurs et nos principes, et celui qui doit apprendre à nos côtés, d’où la tolérance que nous devons avoir à son égard pour tout ce qui peut éventuellement paraître comme étant pas conforme à nos valeurs. Minter est notre hôte, on doit le recevoir comme tel, et nous sommes plus enclins à demander pardon à Minter que d’exiger de Minter quelques pardons qu’il y a, dès lors que Minter est celui qui s’est déplacé de si loin. Et on rappellera toujours que bien que Minter étant différent de nous, Minter est un des nôtres. À partir du moment où il est parti de si loin, vous venez nous rejoindre. il est aujourd’hui une partie de nous, une partie de notre vie. Voilà le type de propos que le griot peut prendre à la suite d’une difficulté ou d’une divergence que l’on peut avoir sur telle et telle situation. Et généralement, le griot, il trouve toujours par les mots le meilleur moyen de contourner. C’est pour ça que, pour revenir un peu à une substance qu’on a eu l’occasion d’évoquer également, le rapport de la parole avec la justice. Le rapport de la parole avec la justice, est une démarche de construction et on aura l’occasion d’en parler.

    Minter Dial :

     Oui, certainement. Et dans ce rôle de médiation quelque part du griot, il y a parfois des sujets qui fâchent. Et parfois il y a, enfin dans la culture anglo-saxonne, c’est « stiff upper lip », on n’en parle pas, on met ça sous le tapis et puis bon, on s’y fait. Et je me demande comment vous vous apercevez ce genre de propos où il y a deux parties qui sont fâchées l’une contre l’autre, divorce, etc. Vous vous focalisez sur, en l’occurrence comme vous avez dit, le hôte et l’autre, celui qui a fait l’effort de venir. Mais comment vous vous traitez ? où on n’est pas d’accord, le sujet, les difficultés, les choses qui fâchent, qui énervent, le nerf de la guerre quelque part.

    Maître Mamadou Konaté :

     Par exemple, parlons de violence conjugale. Les gens pensent qu’en Afrique, la violence conjugale est de mise et que ce sont des situations qui font partie de nous-mêmes. C’est faux. Personne ne peut être fier de voir un homme battre sa femme. Et lorsque le conflit naît consécutivement à une violence conjugale, bien évidemment, la première honte pour celui qui est à l’origine des coups donnés et sans aucune espèce de raison, c’est quand même le mari, qui est assis au milieu de la concession familiale et à qui on parle. On ne lui dira pas « tout go, tu bats ta femme et ce n’est pas drôle », non. On lui rappellera simplement qu’on constate aujourd’hui que marié à une femme qu’il a choisie, non content d’être avec une femme qu’il doit aimer, on voit qu’il donne des coups à sa femme, on lui rappellera que ses ancêtres n’étaient pas capables de donner des coups à leur fille. Aussi simple que vous. Wadi Baita, ça c’est une pratique que nous découvrons avec toi. Mais ni ton père, ni ton grand-père, ni ton arrière-grand-père n’étaient des adeptes de coups aux femmes. Voilà une manière subtile de sortir du tapis la poussière qui dort. Et les codes sont tellement précis que lui le sait. Ou encore qu’on mette en cause un mari soi-disant qui est avare avec sa femme. Et le premier griot qui viendra va vous dire « mais je découvre quand même que aussi nantie que tu es, que tu n’es pas capable de doter ta femme de cadeaux et de présents qui lui font plaisir. Alors j’imagine que tu n’aimes pas cette femme, mais moi je suis venu avec suffisamment d’argent pour en donner aujourd’hui à ta femme et je vais repartir avec toi. Alors il y a deux codes essentiels dans la parole que ceux qui ne sont pas des connaisseurs ne comprennent pas. D’abord un, un griot qui s’empare de la femme de son homme. Impossible. Deux, le griot à qui on doit donner de l’argent, mais qui est celui qui donne de l’argent justement pour que la femme soit heureuse. Et quand vous êtes véritablement noble et ennobli, vous ne laissez pas faire ça. Et quand vous êtes véritablement noble et ennobli, vous ne donnez pas l’occasion une deuxième fois qu’il y ait une réunion familiale autour de vous sur des sujets comme cela.

    Minter Dial :

     Ça me fait penser la nobilité parce que c’est… Quand je regarde, il y a des sujets comme la beauté, la vérité, la connaissance, l’histoire avec H majuscule, pour moi, dans mon éducation, étaient des choses presque absolues. Mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui, amener des faits ou une connaissance, tout est remise en cause, l’esprit critique est là. Je me demandais comment on gère cela quand la vérité est relative, quand les faits sont partagés ou bien pas du tout d’accord. Parce qu’au final, si on veut résoudre une dispute, un conflit, C’est utile de pouvoir dire ton père n’a pas été comme ça, ton grand-père n’a pas été comme ça. On va dire avec un peu d’autorité parce que je connais ton père, il n’a pas été comme ça. Ça permet d’asseoir avec autorité pour que l’autre se rende compte en tant que griot que tu voulais amener à comprendre la vérité ou une histoire vraie.

    Maître Mamadou Konaté :

     La vérité doit être dite. Et la seule différence dans ce que vous dites, et dans ce que je rajoute, c’est que ça dépend de la manière de dire. La façon de dire est très, très importante. Une anecdote. Un jeune garçon s’était fait raconter par son père qu’avec deux de ses amis, ils sont des amis d’enfance depuis très longtemps, et que d’ailleurs, ils ont été circoncis. C’est son père qui lui dit ça. Et bien plus tard, et bien des années plus tard, alors que le jeune garçon avait grandi, il rencontre un des amis de son père, auquel il faisait allusion. Et ce père le salue, et on le présente comme étant le fils de Pouy. Et il dit à ce fils « Tu me connais ? » Il dit non. Et il dit au fils « Je suis un tel, ça te parle ? » Il dit « Ah ouais, mon père m’a déjà parlé de vous ». Il dit « Ah ouais, parce qu’avec votre père, on est des amis d’enfance depuis le bas âge. Nous avons tout fait ensemble, nous sommes allés à l’école ensemble, nous avons épousé nos femmes ensemble, nous avons commencé à travailler ensemble, et voilà, nous sommes vraiment, vraiment des amis. Même si aujourd’hui, on reste un peu longtemps sans se voir, mais on reste vraiment des amis. Tu vois qui c’est maintenant ? Je dis oui. Je dis d’ailleurs mon père a dit que vous avez été circoncis, il pense. Alors, pour un jeune garçon, parlant de son père et de la circoncision de son père, c’est du tabou en Afrique. Ça veut dire qu’aujourd’hui, ce gamin n’a pas les clés et les codes qui sont nécessaires pour parler. Le ton de la parole, les mots que l’on utilise dans la parole et la manière de s’adresser à la personne sont tellement importants qu’ils peuvent varier selon qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. Jamais on ne doit avoir le ton haut vis-à-vis de la femme, et jamais on ne doit utiliser des paroles et des propos déplacés comme la circoncision vis-à-vis d’une femme. Et jamais on ne dira d’une femme qu’un tel est enceinte, c’est brutal, c’est pas acceptable et c’est manqué de respect. Et quand on parle à un homme aussi, tout dépend du rapport que nous avons avec l’homme, selon qu’il soit le père, le parent, ou selon qu’il soit le copain, ou selon qu’il soit l’oncle, ou selon qu’il soit quoi d’autre encore. le ton, les mots, la façon de s’exprimer sont des éléments auxquels il faut faire extrêmement attention.

    Minter Dial :

     Et donc le comment et le contexte. Et ça me fait penser juste, je ne peux pas m’empêcher de penser à ma mère qui, lorsqu’elle est arrivée en Belgique, elle était invitée à un dîner. « Est-ce que vous avez suffisamment mangé ? » a dit l’hôtesse, qui était noble au passage. Et ma mère a répondu « Oui, oui, oui, je suis pleine ». Alors que l’État américain a fait un effort, mais la culture et puis la capacité, le maniement de la langue est très important. Maître Konaté, je voudrais quand même arriver à parler aussi de votre rôle en tant qu’ex-Ministre de Justice et la place que vous mettez sur la conversation, mais aujourd’hui, Pour moi, la conversation est un sujet tellement important. J’ai du mal à trouver des bons exemples pour enseigner, apprendre à faire la bonne conversation. Aujourd’hui, si je regarde les médias, je ne trouve pas le bon exemple. et je ne parle pas de gauche ou de droite. Là, je parle de manière générale et encore en Angleterre, aux États-Unis et la France et je suppose en Afrique, mais je ne connais pas. Mais comment est-ce qu’aujourd’hui nous pouvons apprendre si on n’est pas né, enfin si on ne devient pas, comment est-ce qu’on apprend à avoir des meilleures conversations ?

    Maître Mamadou Konaté :

     L’éducation à la base, c’est la clé. L’éducation, à la base, c’est la clé. Et l’éducation n’est rien d’autre que la résultante des valeurs et des principes auxquels les parents ont eu accès, qu’ils connaissent et qu’ils peuvent transmettre. L’éducation, ce n’est pas seulement d’apprendre à dire bonjour. L’éducation, ce n’est pas seulement d’avoir le regard qui soit moins perçant. L’éducation, ce n’est pas le référentiel aux choses de la vie. c’est tout un comportement, c’est toute une attitude et c’est toute une manière de faire et de voir. C’est d’autant plus important que la parole est aussi expressive de ce contexte auquel je fais allusion. Avec mon père, il y a des choses qui relèvent de l’impossible. Quel que soit mon niveau, de responsabilité dans la vie. Mon père est mon père. Ce référentiel est presque sacré parce que simplement on nous apprend un respect absolu vis-à-vis du père. Dans une conversation, il ne me viendra jamais à l’idée de dire à mon père « mais ce n’est pas vrai ce que tu dis, même pas, ce n’est pas juste ce que tu dis ». Même pas, c’est pas croyable ce que tu dis. Parce que des mots comme ceux-là sont des mots qui sont insupportables dans notre culture. Et ces mots ne sont pas adaptés dans le rapport avec le père. Juste une anecdote, ma mère, avec laquelle je m’attrape de temps en temps, dans le cadre d’une conversation, m’a sorti quelque chose qui me paraissait tellement incongru, je lui dis « n’importe quoi ». Ma mère a dit quoi ? Répète. Je dis pardon, ce n’était pas pour toi. Parce qu’il fallait corriger le tir. Je ne peux pas dire n’importe quoi à ma mère. Donc on a souvent aujourd’hui des contextes de culture, des contextes d’éducation qui donnent l’occasion aux gens de dire n’importe quoi en termes de mots sans limites. Justement c’est ce qui arrive, qui amène le pufida, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on ne sait pas qui est le père, qui est le fils. On ne sait pas qui est la mère, qui est la fille, c’est du tout mélangé, parce que simplement quand vous voyez comment les pauvres parents se font engueuler dans les rues de Paris, quand vous voyez comment les discussions peuvent s’enflammer, quand vous voyez comment les gens ont tendance à penser qu’arriver, une fois arrivé au niveau de la majorité des 18 ans, que maintenant on est libre, on est indépendant, on peut dire merde à tout le monde, les rapports avec les agents de la police, les rapports avec les gens d’autorité. Tout cela fait qu’aujourd’hui, nous sommes en rupture de banc totale avec cela. Il n’y a même plus de mots juste dans les affiches. Le « s’il te plaît » a disparu, les gens n’ont plus le temps et les gens sont dans des a priori tels que quand on est noir par exemple. que l’on vient demander un renseignement et que l’on peine un peu à trouver ces mots parce que simplement on ne parle pas très bien français, les gens tournent le dos pendant que vous êtes arrêtés. C’est une attitude qui est incroyable. Et on se regarde aujourd’hui en disant « voyez ce noir-là, ce qu’il est venu me dire tout à l’heure, voyez ce gars-là, ce qu’il est venu faire tout à l’heure, voyez son comportement, voyez comment il est habillé ». On tire des conséquences actives de situations qui, à la limite, n’ont de sens que parce que c’est instantané. J’aime bien m’habiller en africain, si dans la rue les gens veulent tirer des conséquences de ce que je suis, l’expression du sauvage qui n’est pas allé à l’école, qui parle très mal le français, qui est très peu apprécié de la culture française, qui ne sait pas faire la différence entre ciel et la terre, qui ne sait pas ce que c’est qu’un fusée, comme ce blanc justement qui est venu en Afrique. ou traverser un fleuve, aller d’une rive à l’autre, et qui en montant dans le fleuve avait emmerdé tout le monde en disant aux gens sur la berge, est-ce que tu sais ce que c’est que la Tour Eiffel ? La moitié des gars ne savent pas ce que c’est que la Tour Eiffel. Et puis, tu ne connais pas la Tour Eiffel, mais tu n’es jamais sorti du Mali, toi. Non, non, non, je ne suis jamais sorti. Franchement, tu as perdu le quart de ta vie, toi. Il voit un deuxième, il dit « Madame, vous savez ce que c’est qu’un ascenseur ? C’est déjà monté dans un ascenseur ? » « Non, qu’est-ce que c’est qu’un ascenseur ? » « Madame, vous avez perdu les deux quarts de votre vie. » « Et vous, à côté, vous n’avez jamais pris un vol ? Vous n’avez jamais allé en avion ? » « Non, du tout. Vous avez perdu les trois quarts de votre vie. » Et c’est pendant ce temps qu’il monte dans la pirogue, justement, ici, à Paddaché. Et la pirogue prend donc le fleuve et doit traverser la berge de l’eau. Et au beau milieu, la personne à qui il avait demandé s’il était déjà monté dans un ascenseur lui dit « Mais vous savez nager vous ? » Il dit « Non ». Il dit « Vous avez perdu les quatre quarts de votre vie et ils l’ont foutu dans l’eau ». Voilà, juste pour rigoler, là où ils pensent que les trois quarts des personnes avaient perdu leur vie pour ne jamais monter dans un ascenseur, pour ne jamais monter dans un avion et pour n’avoir jamais vu la tour Eiffel, au beau milieu du fleuve, on se rend compte qu’ils ne s’étaient pas nagés. S’il n’y avait pas des gens pour le rattraper en cas de moyade, ils seraient partis complètement. Tout est relatif.

    Minter Dial :

     On est d’accord, tout est relatif. Je prêche pour être convaincu là-dessus. J’avais deux choses qui me sont venues à l’esprit. Un, c’est une citation de Woody Allen, le comédien américain, qui a dit que tous problèmes de communication sont liés au besoin, du fait qu’on n’écoute pas pour comprendre, on écoute pour répondre. Et deuxièmement, le sujet culturel, raciste, comme on est différents, l’histoire de biais. Personnellement, je n’arrive pas à imaginer que j’arriverais de ma vie en tant qu’homme blanc, toujours compliqué, de dire que je serais sans biais. et je me demandais comment résoudre ou en tout cas réconcilier le besoin d’écouter afin de comprendre et pas répondre et de la place du biais dans notre culture, enfin les cultures, l’être humain.

    Maître Mamadou Konaté :

     Le biais.

    Minter Dial :

     Le biais.

    Maître Mamadou Konaté :

     B-I-A-I-S, c’est le biais, c’est l’entre-deux ?

    Minter Dial :

     Le biais, c’est que j’ai un a priori, j’ai un biais que cette personne est de ce style par généralisation, etc.

    Maître Mamadou Konaté :

     Ça c’est le monde dans lequel nous vivons justement, qui est un monde de spontanéité, d’instantanéité et puis d’a priori. Le fait que vous soyez un homme blanc, vous meurt au milieu d’un marché en Afrique aujourd’hui, c’est synonyme de choses très précises et préconçues par l’esprit des gens. Ce n’est pas forcément une attitude raciste ou raciale, c’est une attitude que chacun est le fruit de sa pensée, chacun le fruit de cette pensée qui elle-même résulte de son environnement. Un blanc au milieu d’un marché, on va se dire simplement, c’est un blanc qui est perdu, c’est un blanc qui a la recherche de lui-même, et c’est un blanc qui aujourd’hui est curieux, veut venir découvrir ce qu’il ne connaît pas. Un noir au milieu d’une célébration de messe, dans une église au fin fond de la France ou de l’Angleterre, c’est aussi un prêcheur, un homme de Dieu sans doute, mais pas un homme de Dieu qui vous met en confiance de la même façon que lorsqu’il s’agit d’un homme de Dieu blanc. Ça, c’est a priori, nous l’avons touché. Parce que dans nos têtes et dans nos esprits, nous avons déjà des clichés. Et c’est tellement mauvais que ça joue des tout. Je suis avocat, je peux le dire. Lorsqu’en face de votre interlocuteur et votre contradicteur avocat, vous ne prenez pas bon soin, un, de l’entendre. De l’écouter, 3, de le comprendre, 4, de voir l’argumentaire sur lequel il se base, et 5, pour accumuler tout cela et réagir par rapport à ce qu’il dit, il ne faut pas lui répondre. Il faut juste trouver le moyen dans ce qu’il dit, ce qui n’est pas mauvais en fait. De trouver la faille, et en tant qu’avocat, ce n’est pas une réponse, mais c’est une réplique à ce qui a été dit. Mais vous ne pouvez pas répliquer à quelque chose qui a été dit, si vous ne l’avez pas entendu, si vous ne l’avez pas compris, si vous ne l’avez pas appréhendé, et si vous ne l’avez pas emmagasinée ce qui n’est plus important, parce que quand il dit vrai en tant qu’avocat, je ne dis pas ce que vous avez dit est vrai, mais c’est dans ce qu’il a dit qui n’est pas vrai que je vais aller chercher. Dans la vie de tous les jours, on ne s’arrête plus. C’est l’exemple que je vous disais tout à l’heure. Lorsque vous êtes noir dans la rue à Paris, à Londres ou à Bruxelles par exemple, vous cherchez votre chemin et vous allez voir quelqu’un. Donc les premières personnes d’ailleurs fuient. Parce que dans un contexte de terrorisme, le terroriste type c’est le noir. et les deuxièmes qui s’arrêtent mettent tellement de distance entre vous que vous êtes obligés de hurler dans la rue. Et les troisièmes qui acceptent de parler sont toujours suspicieux en disant « bon, je vais faire l’effort, il ne se rend pas compte que je suis apeuré, mais quand même je suis apeuré ». En tout état de cause, il faut que l’on tombe les masques, il faut que l’on soit capable de nous regarder d’abord en tant qu’homme, ensuite en tant qu’individu, et dès lors qu’on a la possibilité de parler la même langue qui soit audible, Écoutons-nous, entendons-nous, comprenons-nous, et dans ce que nous nous disons, allons trouver ce qui nous diverge plutôt que ce qui nous converge. Parce que dans toute conversation, il y a de la convergence, il y a de la divergence. C’est sur la divergence qu’il faut éventuellement s’occuper. Mais lorsque la divergence est mineure par rapport à la convergence, c’est que vous avez trouvé un accord.

    Minter Dial :

     Dans la médiation, je vois bien, vous êtes avocat. Dans la plaidoirie, vous devriez, avec votre client, comprendre son cas, saisir la vérité de son cas. Mais aussi, il y a dans les conversations, les histoires, les histoires qu’on raconte avec H minuscule. Et je me demandais, et ça, c’est nuancé, combien vous devriez quand même arranger la vérité pour amener l’histoire en fonction des douze personnes dans la jurée. Enfin, je ne sais pas combien il y aura toujours dans la jurée, mais quelque part, dans votre rôle d’avocat, dans la plaidoirie, vous êtes obligé, à mon avis en tout cas, de prendre en compte la qualité de faire des a priori des membres de la jurée. Comment vous faites ? Parce qu’au final, si je vous demande ça, c’est parce que vous parlez beaucoup du comment, mais j’ai comme un besoin de garder la place pour le biais, parce que j’estime que le biais fait partie naturelle de notre, comme vous avez dit tout à l’heure, Comment vous êtes fait, votre expérience ?

    Maître Mamadou Konaté :

     Quand vous êtes en face d’un jury d’assis, qui est composé d’autant de personnes, juges professionnels et juges non professionnels, ce sont des gens qui, pour la plupart, en arrivant à l’audience, se font une idée du dossier. Parce qu’ils l’ont lu. Et la lecture du dossier, à travers les mots du dossier, les pièces du dossier, crée un sentiment déjà. On est des humains, on ne peut pas, à la limite, nous exclure de là. Le deuxième élément, et c’est pour ça que le rôle et la mission de l’avocat sont déterminants, c’est qu’un procès n’est pas gagné d’avance, il n’est pas joué d’avance, et les acteurs du procès doivent être véritablement présents dans le procès et jouer dans le procès. C’est d’un côté les juges, de l’autre les procureurs, et de l’autre les deux catégories d’avocats qui sont les parties civiles, et ceux qui défendent les parties civiles, et ceux qui mettent en cause, justement, et on est dans un procès pénal. Et c’est pour ça que, en tant qu’avocat, j’enseigne toujours aux plus jeunes que le rôle de l’avocat est important. La connaissance du dossier par l’avocat est importante, l’échange avec la personne que vous défendez est important, et l’environnement du dossier. Juste un exemple, jeune avocat, je me suis retrouvé à défendre une jeune fille qui était mineure à l’époque des faits, 13-14 ans, et qui a jeté un couteau qui a blessé mortellement son demi-frère dans une concession familiale. Elle a été gardée en prison pendant cinq ans, et au bout de cinq ans, j’ai été dessiné de presse pour la défendre. La première conversation à la prison civile de Bamako était tellement difficile parce que j’avais affaire à une jeune fille qui était mineure à l’époque et qui aujourd’hui est majeure, qui à l’époque des faits était majeure, et qui ne pouvait pas prononcer un seul mot de sa cellule où je suis allé. Ça a duré une bonne demi-heure. Parlons de Griot, c’était une jeune fille griotte, et on était obligé justement de recourir à sa grande sœur qui elle aussi est griotte, une cantatrice de Bamako, que je suis allé chercher et avec laquelle on est revenu à la prison pour que l’on ait un bout à la session. Je n’en ai pas eu beaucoup. Et cette session d’assises s’est ouverte lorsque cette affaire a été appelée. Je pensais que les débats allaient être suffisamment longs et je m’étais préparé sur la longueur lorsque, très vite, le juge qui a ouvert les assises, le président qui a ouvert les assises, à deux ou trois questions avait terminé. Aucun autre juge n’avait de questions à poser parce que le sujet était délicat. Le procureur a posé une question et la fille a reconnu. Et voilà que le procureur se lève pour ses réquisitions. Et il n’y avait pas de partie civile, donc j’étais juste le seul avocat de la Défense. Il s’agissait d’un conflit familial qui s’était mal passé. Et puis lorsque le président m’a donné la parole, surprise, je ne savais pas quoi dire. J’étais sans le mot. Et je suis resté comme ça à Gare pendant très longtemps. Le président m’a appelé une fois, deux fois et trois fois. J’ai dû me lever et me dire « Monsieur le Président, j’ai la parole ». Il m’a dit « Oui ». Il me dit, c’est moi qui dois parler ? Je lui dis oui, Monsieur le Président, vous savez de quoi je veux parler ? Et puis il ouvre les yeux, ce qui est inhabituel. Il ouvre les yeux, il ouvre les yeux, il me regarde, je lui dis, Monsieur le Président, j’ai décidé de vous parler de la mort. Il me regarde un moment, je lui dis oui, Monsieur le Président, j’ai décidé de vous parler de la mort, mais de la mort qui tue. Et c’est là-dessus que je suis parti. Pour évoquer la mort, mais la mort qui tue. Pour mettre en avant aujourd’hui l’instant d’une jeune fille qui n’est pas capable d’appréhender le geste fatal qu’elle a et la conséquence tout aussi fatale du geste. Donc j’ai plaidé le répit, j’ai plaidé l’inconscience, j’ai plaidé le hasard, j’ai plaidé l’incapacité pour cette jeune fille qui était en train de s’amuser cinq minutes auparavant avec son demi-frère, de lui planter le cou. Et bien évidemment, dans un contexte africain, j’ai mis un peu de chéitan, et chéitan c’est la malédiction. Et avec des mots, avec des phrases, avec des idées, avec ce contexte culturel que je suis allé appréhender, que j’ai essayé de ressortir, j’ai mis en avant aujourd’hui la déperdition d’une famille polygame, dont le patriarche était décédé, et les femmes au milieu d’une concession familiale qui avait du mal à réguler en l’absence d’hommes, et tous ces allers-venus, tout ce brouhaha qui pouvait expliquer cette situation malencontreuse et malheureuse qui était arrivée. Elle a été condamnée à cinq ans de prison. Elle est sortie avec moi parce qu’elle avait complètement passé en prison. Je n’ai pas revu cette jeune fille, devenue sans doute une dame depuis pas longtemps. Mais j’imagine qu’elle vit, et j’imagine qu’elle vit dans le regret de la mort de celui qui est décédé au bout d’un geste qu’elle ne voudrait sans doute pas.

    Minter Dial :

     Certainement, et j’imagine que vous espérez une fois de retrouver… J’ai deux dernières questions pour vous, Maître Konaté, La première, c’est que vous avez écrit un livre en sortant de votre expérience de Ministre de Justice au Valais qui parle de la corruption. Et là-dessus, qu’est-ce que vous avez appris ? d’arriver à converser dans un monde politique qui, vous n’êtes pas d’accord, vous étiez sur le sujet de la corruption, mais c’est un sujet qui est universel, j’ai l’impression aujourd’hui. Comment converser mieux dans la politique, ou qu’est-ce que vous avez appris de la conversation suite à votre expérience ?

    Maître Mamadou Konaté :

     Vous allez être sans doute en position d’un scoop, quelque chose que je n’ai pas dit, Il faut savoir que j’avais des liens particuliers avec le chef de l’État, qui m’a fait appeler un jour justement pour évoquer avec moi, maintenant qu’il est mort, maintenant que le sujet est passé, je peux l’évoquer, pour évoquer avec moi la perspective du deuxième mandat. Pour lui. Oui, pour lui. Quasiment à la fin de son mandat, et la Constitution l’autorisait à se présenter une deuxième fois, et il a évoqué le sujet avec moi en toute intimité. Et puis je le regarde, je lui dis, M. le Président, pour moi, le deuxième mandat se justifie par les maigres résultats du premier mandat. J’ai dit, je suis moi-même membre de ton gouvernement depuis bientôt un an. je suis incapable de te dire où est le résultat qui peut justifier ce qu’on m’a dit. C’est là qu’il me regarde et me dit, mais qu’est-ce qu’on peut faire dans les médias ? Et il me dit, la corruption est un sujet qui m’a souvent servi. J’ai dit, mais tu fais bien, c’est un beau sujet d’un point de vue psychologique dans ce pays, on a besoin aujourd’hui de dynamiter une vraie campagne de lutte contre la corruption, et véritablement qui nous permettent de réformer les lois, de réformer le cadre juridique et surtout de nous battre contre l’impuissance. Et c’est dans ce contexte-là qu’il m’a mis en mission et que j’ai déroulé deux-trois idées. La première, c’était la mise en place et doter l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite de toutes ses composantes humaines et matérielles pour être opérationnelle. Et ensuite, j’ai eu l’occasion de participer à une assemblée générale de la Convention des Nations Unies de lutte contre la corruption à Vienne. Et ensuite, j’ai eu l’occasion de réunir mes homologues au Burkina Faso, du Niger, du Tchad, pour mettre en place justement une convention qui nous permette de lutter contre le terrorisme. Mais à la base, le terrorisme, c’est aussi beaucoup de corruption. Donc, on a eu une belle réunion à Niamey, justement, au terme de laquelle nous avons signé une convention d’entraide judiciaire et de coopération renforcée dans ce domaine-là. Avec cet ensemble-là, j’ai dû présenter le sujet au président de la Ligue et il m’a donné carte blanche pour y aller. Et on a mené une véritable campagne, au moins sur les ondes et sur papier, pour annoncer que désormais tous ceux qui étaient importants au sein de l’État et qui avaient donc des responsabilités premières, qui étaient assujettis donc à ces responsabilités, ils devaient donc procéder à la déclaration non seulement de leur patrimoine, mais également de leurs liens, également de leurs intérêts. Cette campagne a commencé pendant trois mois et visiblement cette campagne gênait beaucoup de gens lorsque le syndicat des fonctionnaires de l’État s’est mis en grève pour que nous puissions revenir sur la loi qui instaurait cette déclaration de patrimoine. J’ai eu beaucoup d’aller-retours avec le président de l’appli et Je me suis tellement investi dans ce dossier et j’ai été plutôt très mal à l’aise que dans le cas d’une réunion, le président de la République avait pris la décision justement de reculer sur cette dynamique lutte contre la corruption qu’on avait envisagée, d’essayer de suspendre la loi et d’essayer plutôt de suspendre un peu tout le dynamisme et tous les organismes que l’on mettait en place. J’ai dû me battre avec toutes mes forces, même si la loi est passée. En définitive, l’attitude du président de l’Afrique a donné l’impression aujourd’hui que le gouvernement n’était pas déterminé. Les fonctionnaires ont insisté et ils ont obtenu en partie ce qu’ils voulaient. Nous avons mis en place un office central de lutte contre la décision illicite, mais plutôt déconsidéré, et cette dynamique de lutte contre la corruption n’a pas tenu vraiment Parole jusqu’au bout, moi-même j’ai été totalement affecté. Cette raison plus une troisième m’ont déterminé à démissionner du gouvernement parce que je me suis rendu compte finalement que l’instinct politique n’est pas l’instinct de la vérité. Le politique n’en a cure de ce que la pertinence d’une action peut être de nature aujourd’hui à le mettre en selle. Non, la pertinence d’une action doit être capable aujourd’hui de convaincre des gens qui deviennent donc des électeurs probables et des soutiens probables. Donc tout ce que vous pouvez envisager dans le cadre de la politique qui ne résulte pas dans l’oreille des gens, de manière à ce que ce soit suivi d’applaudissements, le politique s’en fout. Donc la lutte contre la corruption, si elle peut préserver le crédit de l’État, le bien de l’État, les déniés de l’État, parce que simplement ça fait des vagues et qu’au bout du compte, un certain nombre de personnes peuvent se retrouver en prison, ce ne sont pas des choses qui sont vraiment déterminantes pour le politique, ce d’autant plus que c’est généralement le camp politique qui est au pouvoir, qui est très concerné par la corruption. Et là, de ce point de vue-là, j’ai compris que le dialogue avec le politique est un dialogue de sous. C’est un dialogue c’est un dialogue de menteur, c’est un dialogue de mensonge, c’est un dialogue qui a besoin juste que l’on soit muni de tam-tam, que l’on soit muni de balafons pour faire le maximum de bruit, pour faire danser les gens, qu’ils oublient un peu tout ce qu’ils ont dans la tête et qui peut les gêner et que la réalité du pouvoir ne permet pas véritablement de se battre là-dedans. Depuis cette période, je me suis mis en retrait et mon expérience politique s’est arrêtée à la suite de l’expérience ministérielle. Je me suis rendu compte d’ailleurs que des gens comme moi n’étaient pas faits pour être des ministres, parce que ministre, ça c’est plutôt accompagner un chef d’État, un premier ministre, un gouvernement, dans tout, y compris dans ce qui n’est pas intérêt général, y compris dans ce qui peut être mensonge, y compris dans ce qui peut être ridicule. Vous pouvez peut-être draper tous les murs de la ville de drapeaux et de fanions indiquant que la lutte de la corruption est en marche, mais le pire c’est de mettre en œuvre cette lutte contre la corruption, c’est là où vous vous faites taper sur le doigt et c’est là où on vous sort de derrière, on pilote votre mystère sans vous, finalement vous êtes une identité complètement zéro du peuple. Vous êtes à la tête d’un département ministériel qui, du nom, est très important. Vous êtes garde des Sceaux, ministre de la Justice, et de surtout en charge des droits de l’homme. Mais vous vous rendez compte que votre budget est coupé en deux. Vous vous rendez compte que votre personnel politique, y compris dans le cabinet du ministre, répond plus à la présidence que à vous-même. Vous vous rendez compte que les magistrats n’en ont qu’eux, parce qu’ils savent bien que le décret qu’ils nomment, même s’il est proposé par vous, il est finalisé par le président de l’Afrique. et ils finissent donc par prendre l’angle directement du présent de la politique. Voilà comment on peut totalement bafouiller l’idée de justice, l’idée de lutte contre la corruption, l’idée de lutte contre l’impunité.

    Minter Dial :

     Ça me rappelle des histoires à moi quand j’ai travaillé dans un groupe coopératif, pour ne pas le nommer, et combien la politique, les carrières, les histoires qu’on racontait, et les budgets aussi, donc tout ça, ça rime à beaucoup de choses pour moi. Et ça me fait penser à combien plus on est impliqué dans cette histoire, plus c’est difficile d’être neutre dans la conversation et plus c’est difficile de raconter des barbares, des niaiseries. Je veux terminer sur une dernière question, car on a fait un peu le tour du monde, mais plutôt on va dire centré sur l’Afrique quand même un peu, mais vous êtes aussi un homme influent sur Twitter, anciennement Twitter, aujourd’hui X, pour parler d’autres, mais vous faites des space, ce qui est un lieu où on est beaucoup, en audio, et vous gérez ça d’une manière extraordinaire. Je voulais, si vous pouvez nous partager les règles de conduite et qu’est-ce qui fait que vous arrivez à entendre des voix et des opinions différentes de vous, et comment vous faites pour arranger à avoir des belles conversations ? Quels sont les principes, les règles que vous pourriez nous donner pour amener, gérer des belles conversations ?

    Maître Mamadou Konaté :

     D’abord, les sujets, les thématiques. Les thématiques résultent pour la plupart de moi et d’autres personnes qui peuvent me souffler, ça et là, des thématiques, mais je ne vais jamais sur une thématique si je ne la comprends pas moi-même. Et la comprendre moi-même, c’est l’appréhender et être capable de pouvoir toujours dégager deux, voire trois, voire quatre problématiques dans un sujet donné. Et deuxièmement, parce que ces sujets me préoccupent moins, m’interrogent moins, que j’imagine que des comme moi, il y en a plein, donc qui sont préoccupés, qui s’interrogent également. Nous avons eu beaucoup de sujets justement sur le tumulte des coups d’État au Sahel, sur la question du terrorisme, la.

    Minter Dial :

     Problématique de la colonie… En Afrique, il y a plusieurs coups d’État qui se sont arrivés à peu près en même temps presque.

    Maître Mamadou Konaté :

     Bien sûr. Donc, surtout ces problématiques des rapports des gens avec l’État, des rapports des gens avec l’intérêt général, des rapports des gens avec le respect de la justice, c’est un ensemble de choses. Donc, les thématiques résultent pour la plupart de ma tête et de la tête de personnes qui m’entourent, qui m’accompagnent dans le cadre de ce projet-là. Et ce n’est pas parce qu’on me voit, moi, que je suis tout seul dans le cadre de débats de systèmes K.O. Il y a des fortitudes de gens qui, aujourd’hui, nous épaulent pas mal dans ce projet. Une fois qu’on a choisi le thème, on essaie de trouver les problématiques du thème. Une fois qu’on a trouvé les problématiques du thème, on va les trouver des vrais interlocuteurs. Et là, on n’a pas d’a priori. Parce qu’on n’est pas partie prenante dans le cadre de l’idée, on ne défend pas une idée derrière, on veut juste avoir le moyen de débattre. Parce que le débat de cité est né de mon envie de débattre, de mon envie d’entendre les autres, d’échanger avec les autres, d’aller dans un combat vrai avec les gens, si tant est que le combat se fait autour des idées. Donc on a des gens magnifiques. Beaucoup de personnes, d’abord qui sont autant connaisseurs du sujet, qui savent s’élever avec le sujet, qui savent indiquer les points, les recoins du sujet, qui savent les prolonger. Ça fait toujours un plaisir absolu de voir une personne qui est véritablement en possession du sujet. Il y en a plein qui ne sont pas connaisseurs du sujet, mais qui sont des gens raisonnés et raisonnables, et qui sont capables aujourd’hui, par le biais de la méthode et de la méthodologie, de s’interroger et pour douter. L’autre qui, en face, semble être connaissant. À côté, il y a une foule de gens qui ne savent absolument rien, qui sont souvent hors-sujet, mais dont la présence est aussi essentielle et utile que la présence de ceux qui savent, ou que la présence de ceux qui ne savent pas. Donc c’est vraiment, à la base, l’envie de débattre, l’envie d’évoquer les sujets et l’envie plutôt que ces questions authentiquement africaines soient aussi domestiquées par les Africains que nous sommes. Au début, quand j’ai commencé, c’était à coups d’injures, c’était à coups de révoltes, c’était à coups de dénonciations, de déformations. Et j’ai toujours rappelé aux gens que les règles qui me déterminent moi à la base, déterminent au sein de ma famille, qui me déterminent dans ma vie de tous les jours, je n’aime pas les gens qui, à court d’idées, insultent. Donc la règle pour moi, c’est que vous pouvez tout dire, vous pouvez vous engueuler, mais vous ne donnez jamais de convoi. Vous pouvez vraiment vous engueuler, mais pas d’injure, pas de grossièreté, et vous ne dites jamais rien que vous ne pouvez pas supporter dans votre vie. Donc au début c’était très difficile d’encadrer cela, et je vous dis des choses qui résultent d’un règlement que nous avons fait, d’une charte que nous avons mise en place, et on rappelle toujours la charte aux gens, et on indique d’ailleurs aux gens qu’en arrivant à débats de cités MKO, vous acceptez justement de vous… de vous référer donc à cela. Je n’ai jamais eu l’occasion véritablement de couper la parole, je n’ai jamais eu l’occasion de sortir une personne du Space, si ce n’est une ou deux fois sur la centaine de fois qu’on l’a organisé, et les Space s’organisent de façon très spontanée. Ils s’organisent autour d’un pays, autour d’un sujet, autour d’une actualité qui n’a absolument rien à voir avec le Manifesto. Forcément, on a traité du Tchad, on a traité du Cameroun, on a traité du Sénégal, et on a été très très présents justement pendant tout le temps que le combat de Ousmane Sonko et de Basseroudio Maïfaye avait lieu. On a été souvent en instantané, chaque fois que la Cour constitutionnelle avait rendu une décision, on était là pour commenter. Donc, véritablement, l’idée de débat est de débat organisé, de débat cohérent, de débat même si on ne sait pas, il faut dire ce que l’on sait pourvu que dans ce que vous dites, nous nous rendons compte des limites strictes de votre connaissance par rapport à ce sujet-là. Donc personne n’est sachant plus que l’autre. Personne ne peut plus hurler parce que bon, en pensant qu’on hurle, on a raison. Non. Les débats de système K.O. qui sont privés parce que Nous avons eu souvent des pointes de 7 000, voire 8 000, voire 10 000, rien au-delà de personnes qui nous suivent en direct et qui nous suivent par la suite et qui écoutent encore nos enregistrements. Et je sais que beaucoup, beaucoup de dirigeants politiques africains, sous des couverts déguisés, viennent dans ce débat de Cité pour écouter. Au début, on a pensé peut-être que c’était en opposition par rapport à tel et tel pays. Non, ce n’est en opposition de rien, si ce n’est contre l’antidroit. Contre la violation du droit, contre la négation des libertés, contre l’état de droit et contre la démocratie. Et si véritablement à travers ça on peut me dire que je suis obolon, bien évidemment, je suis démocrate profondément. Je suis pour l’état de droit pour bon nombre, je suis pour le respect de la justice, je suis contre l’injustice, je suis contre l’impunité et je suis tout ce qui peut éventuellement perturber l’intérêt général. Ce combat-là, il est mien depuis 40 ans aujourd’hui, que je suis allé à la fac, que j’ai compris un certain nombre de choses, mon engagement sur ces questions est un engagement sans faille. Et c’est pour ça que ce qui m’écoute une ou deux fois se rend compte très vite que je peux radoter parce que je dis les mêmes choses sur ces questions.

    Minter Dial :

     Génial. Donc, ce que j’ai entendu, c’est choisir le bon thème, connaître bien le sujet pour savoir les contours et les nuances là-dedans. Ensuite, il y a cette charte qui permet d’asseoir une civilité tout en étant dans le débat et sachant que même l’origine du mot « débattre », il y a le mot « battre » Donc se battre. Et peut-être la dernière question, c’est autour de la capacité de gérer son niveau d’implication, son émotion, d’arriver à tempérer une pensée forte. Car en fait, à partir du moment où on passe dans le côté de l’émotion dans le cerveau, on oublie bien souvent de penser, de rationaliser, de tempérer, de patienter. Mais quand même, il faut être impliqué. Comment faire un équilibre entre être impliqué et être civique, patient ?

    Maître Mamadou Konaté :

     Alors, je suis impliqué et totalement du début jusqu’à la fin. C’est une charge émotive énorme. Dès lors que j’ai pris un sujet, que je l’ai pensé avec un certain nombre de personnes, que je l’ai plaqué, mon émotion et la charge émotive commencent. Et ça se poursuit jusqu’à la fin du Space parce qu’à tout moment, je pense qu’on n’est pas, je me dis qu’on n’est pas à l’abri de rater. Je me dis qu’on n’est pas à l’abri de la mauvaise perception des choses.

    Minter Dial :

     D’impair.

    Maître Mamadou Konaté :

     Je me dis qu’on est capable de… de faire une impaire totale et absolue. Chez moi, on dit que l’enfant ne tombe que des mains de la personne qui habituellement l’apprend. Et quand elle tombe, croyez-moi deux secondes que la personne, des mains de laquelle elle tombe, n’a jamais fait exprès, bien au contraire elle t’aime. Les beaux parleurs sont aussi ceux qui peuvent éventuellement être renversés avec leurs paroles. Et c’est le pire. Et vous savez que la parole, lorsqu’elle est mal dite, elle ne peut faire que des ravages. Et c’est au fur et à mesure que vous recherchez à rattraper la parole, justement, qu’elle rate. Bien évidemment, il y a souvent des crises de bec énormes avec un certain nombre de personnes. D’abord, un, sur la discussion de l’idée. Et deux, sur les croyances et les volontés exprimées. Et trois, sur les mots qui ont été utilisés, le temps juste que l’on se mette d’accord sur la conformité et la concordance des concepts, et c’est pour ça que très souvent on dit « Non, vous ne m’avez pas compris, laissez-moi m’expliquer ». Il y en a beaucoup par exemple qui n’aiment pas le dialogue, ils pensent qu’ils doivent venir prendre la parole ici pendant deux, trois minutes pour juste sortir ce qu’ils ont dans la tête. Et quand on les arrête justement pour leur dire « Oui, mais qu’est-ce que vous avez voulu dire par ça, monsieur ? » « Non, laissez-moi parler ! » « Non, laissez-moi terminer ! » « Non, mais ce n’est pas croyable ! » « Non, mais vous me coupez ! » Vous n’êtes pas là pour un monologue. Nous, on est là pour comprendre ce que vous dites. Vous n’êtes pas en train de nous enseigner, on n’est pas obligé de vous écouter si ce que vous dites n’a pas de sens. Combien de fois moi-même j’ai été pris à partie sur une idée que j’exprimais en disant qu’ils sont en total désaccord avec moi. C’est comme ça qu’on apprend à être démocrate. C’est comme ça qu’on apprend à être tolérant. Parce que moi-même qui suis l’organisateur, mes idées sont souvent battues en brèche comme pas possible. Voyez-vous, au bout de combien d’années de discussion, j’ai pu déceler sur la toile un certain nombre de personnes qui avaient une bonne maîtrise de ce que nous pouvons éventuellement appeler la perspective de la nouvelle de la nouvelle démocratie africaine. On est dans un combat comme ça et vendredi, on doit se réunir justement parce qu’il a été demandé depuis trois, quatre, cinq séances à chacun des individus de prendre un pont de la chose, de pouvoir le décortiquer. On a une réunion globale dans la perspective d’organiser justement un Space sur les nouvelles perspectives démocratiques africaines. C’est-à-dire, un, sur quoi on est d’accord en ce qui concerne la dévolution du pouvoir, comment on prend le pouvoir et comment on sort du pouvoir et comment on se maintient au pouvoir ? Et deuxièmement, quelles sont les institutions de l’État ? Et troisièmement, quels sont les rôles des institutions de l’État ? Troisièmement, qu’est-ce que c’est que l’intérêt général ? Et quatrièmement, qu’est-ce que c’est que le rapport à l’intérêt général ? Cinquièmement, quelle est l’idée de justice que l’on peut avoir ? Et sixièmement, jusqu’où il faut avoir de l’accord ? avec un tel ou pas un tel, quelle est la question de la sécurité, un ensemble de choses comme ça qui permet à une quinzaine de personnes justement de pouvoir nous rendre compte dans le cadre de ces dynamiques-là. C’est tellement important que les personnes il y a deux, trois ans ne se connaissaient pas du tout. Mais à force de se rencontrer dans les pays, à force de se rentrer dedans, à force de s’entendre, on apprend à se connaître, on apprend surtout à se respecter. Je respecte tout le monde, pourvu qu’ils soient capables d’exprimer des idées qui, par leur concordance, sont synonymes de raison et de logique. Sans raison et sans logique, on est en train de blablater. Et c’est ce qui fait la différence justement avec les bêtes. Il y a des gens extraordinaires qui comprennent le langage des bêtes. Moi, je ne suis pas suffisamment intelligent pour comprendre le langage des bêtes, je comprends d’abord le langage des hommes. Et le langage des hommes, c’est un espacement de mots et une concordance de ces mots qui constituent des phrases, qui expriment des idées, qui expriment des opinions et qui sont la source d’un débat.

    Minter Dial :

     Je ne vais pas ouvrir, mais j’avais envie de parler de monsieur Foucault. et comment lui, il voulait défaire l’origine et la vérité des mots. Mais maître Konaté, le temps est limité. Je vous remercie infiniment d’avoir parlé avec moi sur ces sujets. C’était fort passionnant, très agréable de vous entendre, de vous écouter, de pouvoir vous poser des questions. Vous m’avez permis, de tout poser. Comment est-ce que quelqu’un peut vous suivre, puisque je sais que vous êtes un homme de la toile, vous contacter autrement ou acheter vos livres ? Quels sont les liens auxquels vous voudriez envoyer les écouteurs ?

    Maître Mamadou Konaté :

     Je vais vous envoyer donc les liens pour l’ensemble de mes ouvrages écrits. Aujourd’hui, j’en ai écrit quatre, voire cinq, voire six. Dont quatre à titre personnel et deux en groupé. J’écris malheureusement que sur la justice. Je ne raisonne malheureusement que sur la justice et les questions de justice et les questions institutionnelles. Je suis en train de m’essayer à terminer un ouvrage qui parle un peu de moi et un peu de choses un peu personnelles. C’est l’avocat dans la cité, je suis à 80 pages, il me manque environ 120, 130, 140 encore.

    Minter Dial :

     Je connais cette souffrance.

    Maître Mamadou Konaté :

     Les idées sont là, mais comment s’asseoir réellement pour mettre de l’ordre, ce n’est pas évident. Je suis en train de travailler également sur la perspective d’un ouvrage justement sur l’idée d’État, sur l’idée de justice et sur l’idée d’institution. Dans un contexte africain colonial d’une part, post-colonial d’autre part, et d’évidence aujourd’hui où on assiste justement à ces révoltes et à ces prises de parole, à prises de pouvoir de façon violente. Tu réfléchis pas mal à notre devenir, quand vous voyez le monde, ce qu’il devient, quand vous voyez par le biais de l’élection, du suffrage universel, une étape décidée de se remettre soi-même en cause au mépris de l’ensemble des principes et valeurs qui sont fondamentaux. La déclaration universelle des droits de l’homme est que la notion de race était abjecte, que la notion de religion en violation de la laïcité est une notion qui est impropre, et qu’aujourd’hui, au nom de la race, certaines personnes revendiquent des droits et des libertés d’être qu’entre soi, d’être que pour soi, et surtout de délier à l’autre le droit d’exister. Et quand des processus comme ça prennent le chemin du droit, prennent le chemin de la loi, bien évidemment il y a lieu aujourd’hui de réfléchir. Quand aujourd’hui un certain nombre de valeurs sont complètement bafouillées aujourd’hui, je fais juste un parallèle avec la conception africaine justement des mœurs et de la liberté du choix des mœurs aujourd’hui. Je n’en veux à personne qui décrète aujourd’hui que dans son pays les hommes peuvent marier les hommes, les femmes peuvent se marier entre elles-mêmes, c’est la liberté des gens. Deuxièmement, je peux comprendre également que les gens soient complètement révulsés par le fait qu’un seul homme peut se marier à quatre femmes dans un contexte polygamique lié à la religion musulmane, et que de là où ils sont, qu’ils puissent considérer ça comme étant un propre abject et insupportable, je peux comprendre même au point que dans un contexte européen, on dise que cela n’est pas reconnu. Mais ce que je ne peux pas comprendre, c’est que lorsque vous dites des autres que ce qu’ils font n’est pas bien à vos yeux, parce que vous avez une espèce de moral qui ne permet pas de laisser passer cela, et que ce que vous faites, vous voulez non seulement que ce soit su, que ce soit entendu, mais en même temps vous voulez que ce soit transposé. Vous voyez aujourd’hui le système mondial qui est dominé justement par la liberté de choix et d’orientation sexuelle, et qu’on pense envoyer dans un pays musulman un ambassadeur représentant du chef de l’État, lui qui est aux antipodes de ce qui est supportable dans ce pays, non pas en termes de polygamie mais en termes de liberté sexuelle, qu’il est un homme et que son conjoint est un homme et que dans les cérémonies officielles, les deux apparaissent, qu’on est dans un contexte musulman, Je me dis quelque part que c’est de l’intolérance. Quand on s’en prend aux gens pour leur race, pour leur culture, pour leur religion, et même quand on s’en prend aux gens justement pour leur orientation sexuelle, on est dans un contexte de révolte totale. Et on n’est pas loin justement du système qui nous a valu la Deuxième Guerre mondiale, puis la paix, puis la société des nations, puis les Nations Unies. Je pense qu’on est reparti encore dans un cercle où on peut s’en prendre à une étape pour l’idée parce qu’on n’a pas envie qu’il existe. c’est l’Ukraine, on peut s’en rendre à une communauté arabe en lui déniant le droit de s’installer sur un territoire qui est le sien. Même si on met en avant aujourd’hui un certain nombre de choses abominables, telles qu’aujourd’hui la violence contre une communauté juive qui est aussi insupportable, mais on obtient aujourd’hui des proportions où franchement l’instinct de décimer une communauté n’est plus supportable. On n’est plus à faire des parallèles entre une extrême droite raciste, raciale, extrémiste, antisémite, qui veut aujourd’hui la fin des communautés humaines, et une extrême gauche sous couvert de Mélenchon pour dire aujourd’hui que les deux sont insupportables et qu’on est à deux droits d’avoir une majorité gouvernementale justement qui va casser les lois, mais pas que, qui va casser les budgets, mais pas que, mais qui va casser de l’humain. dès lors que cet humain est d’une autre nationalité, dès lors que l’humain est d’une autre couleur, dès lors que l’humain est d’une autre religion. Et quand on regarde tout cela et que l’on se rend compte qu’un seul chef d’État décide de se faire harakiri, de mettre le feu non seulement à l’Élysée, mais de mettre le feu à lui-même et de mettre le feu à toute une nation, Bien évidemment, on est le fruit de ce que l’on est. La liberté fait qu’on a opté pour ce président jeune, sans doute bien instruit, mais probablement inexpérimenté sur les choses de la vie. Et ça donne ça. Merci Minter.

    Minter Dial :

     Maître Konaté, je pense que nous ne sommes pas sortis de l’auberge, mais la conversation, c’est le moyen de s’en sortir, je m’en suis convaincu. Je vous remercie beaucoup, maître Konaté, et avec grand plaisir de vous retrouver pour un autre repas familial, parce que c’était tellement agréable.

    Maître Mamadou Konaté :

     Et c’était tellement bon qu’il faut revenir, on reviendra une deuxième fois, tant que vous n’arrivez pas chez nous d’abord. Merci beaucoup. Allez, à bientôt. Au revoir.

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