Décrypter l’Abécédaire apocalyptique : Un cri philosophique par Bertrand Carroy pour le changement (MDF165)

Minter Dialogue avec Bertrand Carroy

Dans cet épisode, je reçois Bertrand Carroy, auteur de « L’Abécédaire apocalyptique« . Nous discutons de l’état actuel de la société, de l’éthique et du leadership dans les entreprises. Bertrand exprime son inquiétude face à la perte de repères culturels et moraux, notamment chez les jeunes générations. Il critique la course effrénée à la performance et au progrès matériel dans le monde professionnel, au détriment du développement spirituel et humain. Nous abordons également la difficulté pour les leaders d’entreprise de rester authentiques et éthiques dans un environnement axé sur la finance. Nous évoquons l’importance de l’humanisation des relations de travail et de la réflexion sur le sens de l’action. La conversation touche aussi à des sujets philosophiques comme la définition du bonheur et la nécessité de retrouver des racines et un sens de l’exclusivité dans un monde qui prône l’inclusivité à outrance. Notre conversation se termine sur une note d’espoir, appelant à un retour à des valeurs humaines fondamentales.

Merci de m’envoyer vos questions par email — en tant que fichier audio si vous le souhaitez — à nminterdial@gmail.com. Sinon, en dessous, vous trouverez tous les liens pour un suivi du podcast. Vous êtes bien entendu invité à déposer un message ou à le partager. Si vous pouvez, merci d’aller déposer une revue sur Apple Podcasts pour le noter.

Pour joindre Bertrand carroy

————–

Pour suivre le podcast Minter Dialogue en français:

RSS bouton

Trouver tous les autres épisodes de Minter Dialogue en français ici.

Sinon, je vous invite à vous souscrire au Minter Dialogue en français podcast sur :

Crédits pour la musique : Le morceau au début est grâce à mon ami Pierre Journel, auteur de La Chaîne Guitare. J’ai également une chanson que j’ai co-écrite avec mon amie à New York, Stephanie Singer: « A Convinced Man. » Celle-ci a été écrite et enregistrée dans les années 1980 (d’où la qualité dégradée de mon enregistrement).

Transcription de la conversation par Flowsend.ai

Minter Dial : Bertrand Carroy, c’est vraiment un plaisir de t’avoir. On s’est connu à travers un grand ami, Eric Mellet, je pense. Et depuis, on était tous les deux sur du leadership et maintenant tous les deux sur des livres. Mais bon, donnes tes mots à toi, Bertrand. Qui es-tu ?

Bertrand Carroy : Qui suis-je ? Je suis quelqu’un qui est… Alors je n’aime pas le mot de philosophe, parce que c’est devenu maintenant un titre soit un peu pompeux, ou ça fait très professeur de philosophie, ce que je déteste, mais plutôt, en revenant à l’étymologie, l’amour, à l’amoureux de la sagesse, voilà. C’est quelque chose qui me guide depuis… depuis mon adolescence, en fait. J’aime vraiment la sagesse, alors j’aspire, j’y tends, sans l’atteindre jamais, j’espère un jour. Voilà qui je suis. Et puis quand on s’est connus, effectivement, on travaillait tous les deux sur des problématiques de leadership dans des grands groupes internationaux ou des entreprises de taille moyenne. et le lien entre philosophie et entreprise, alors non pas faire simplement un outil de la philosophie, mais plutôt mettre un état d’esprit, faire prendre du recul, utiliser les instruments de la logique pour mieux raisonner, apprendre à argumenter, à problématiser et donc à mieux décider. Puis sans compter, bien entendu, toutes les problématiques éthiques, c’est-à-dire de l’ordre des anciennes vertus morales et de la nécessité pour un leader de les incarner sous peine de verser dans une sorte de dictature ou de tyrannie à petite échelle.

Minter Dial : Juste en parlant de l’éthique, est-ce que tu penses que le sujet de l’éthique a quand même pas mal changé depuis un certain temps ou est-ce que ça reste immuable l’éthique qu’on devrait avoir ?

Bertrand Carroy : Alors pour moi, à partir du moment où l’éthique, si tu veux, on la définit comme une sorte d’étude, c’est une définition un peu médiévale, sachant que mes études de philosophie, c’était surtout philosophie ancienne et médiévale, c’est l’étude de l’ordre que l’on introduit dans nos actes propres, dans les actes de l’homme, donc c’est l’homme qui est centré. Tant que l’homme, il est toujours le même, c’est-à-dire qu’on n’a pas changé, fondamentalement on a toujours constituée toujours de la même manière, on n’a pas changé dans nos aspirations profondes, qui sont le bonheur, quelle que soit d’ailleurs l’acception que l’on met, ou les réalités que l’on met sous ce mot, donc on n’a pas changé. Et donc l’éthique ne change pas, puisque finalement, au fond, en introduisant un ordre qui est celui de l’éthique, ce que l’on veut c’est on veut être heureux, tous être heureux. Alors bientôt peut-être qu’avec l’intelligence artificielle et avec tout ce qu’on nous promet comme être humain augmenté, surdéveloppé, peut-être qu’il y aura quelque chose qui changera parce qu’entre les connexions neuronales et les bites, alors là je ne sais pas.

Minter Dial : Et justement, c’est pourquoi je pose la question parce qu’entre le transhumanisme et des changements dans ce qu’on peut appeler le gendre, la sexualité qui est devenue beaucoup plus vaste dans le temps de choix, c’est toujours sur un spectre. Il me semble qu’il y a des changements enfin voulus dans des choses préconçue, on va dire, c’est comme ça qu’il parle de ça comme étant préconçue et donc tout est possiblement à changer. Enfin, si on prend tous les philosophes français qui ont démarré, selon moi, beaucoup de ce qui se passe aujourd’hui, notamment Lacan et Foucault et Derrida, on est sur des changements, une déconstruction de beaucoup de choses dans ce qu’st un humain.

Bertrand Carroy : Alors oui, dans la perception qu’on en a, c’est clair qu’on est une société et on en voit tous les jours les fruits, c’est-à-dire d’une société aussi qui est sans repères, parce que quand tu déconstruis sans reconstruire, ça devient compliqué. Et puis je dis, c’est surtout dans la déconstruction, dans la perception, parce que dans la réalité, encore une fois, l’homme des années 2020, il a les mêmes besoins de manger, de dormir, de se reproduire que l’homme des années 1600, 1200 ou moins 2000 avant notre ère. Donc, on est plus dans des représentations et le problème de fond, me semble-t-il, c’est justement l’approche du réel et la vérité. La vérité en tant que l’adéquation de notre intelligence à ce qui est vraiment. Et en voulant, tu as cité un certain nombre de philosophes, mais on pourrait même remonter encore plus loin, Valéta les Phénoménologues, et encore avant, c’est Descartes qui a commencé à mettre en doute toutes nos perceptions. Du coup, on nous a empêché d’une certaine manière d’accéder à la vérité, en disant que la vérité est multiple, ou en tout cas, elle n’existe pas, on ne peut jamais l’atteindre. Et du coup, cela nous a fait… où ils nous ferment des portes ou des horizons, ou sinon une sorte de liberté folle, une liberté définalisée comme celle que prône Sartre. mais finalement qui ne mène nulle part. On a besoin d’un chemin. Encore une fois, on est des hommes incarnés et on nous a fait croire, je pense, nombreux philosophes, nombreux penseurs, sociologues aussi, nous ont fait croire que finalement on pouvait tout faire, tout inventer, ce qui est vrai potentiellement parce qu’on a cette intelligence illimitée, mais sans morale, sans éthique, sans réflexion sur l’ordre que l’on a à mettre dans nos propres actes. eh bien on se retrouve perdu et avec tous les symptômes d’abrutissement, de prise de cachet, de frénésie de cette société du spectacle qui essaie de nous distraire absolument pour éviter justement de repenser à cette finalité de l’homme et à cette finalité de notre liberté.

Minter Dial : Pas beaucoup dans cette histoire de finalité comme étant une plus grande réalité qui existe, que la vie se termine et donc dans un monde illimité, notamment quand on parle de cette intelligence artificielle qui promet d’aller jusqu’au bout de je ne sais pas quoi, comment est-ce qu’on peut atteindre de la sagesse si tout est illimité ?

Bertrand Carroy : Les grecs avaient déjà la réponse en disant l’illimité c’est l’hubris, c’est la démesure et c’est grave parce qu’en fait c’est se croire Dieu et c’est ce qui est très beau dans le théâtre on veut échapper à notre finitude. Et pour échapper à notre finitude, on est prêt à n’importe quoi, en fait. Là où les Grecs disaient, finalement, la médiété, ce n’est pas une médiocrité, c’est une excellence entre deux extrêmes. Et ça, c’est le propos aristotélicien. qui dit, voilà, quand tu prends les vertus du leadership, le courageux, il y a deux extrêmes, il y a celui qui est le pleutre, le lâche, qui va fuir devant tous les dangers, alors bien sûr c’est un vice, c’est pas bien, on peut pas être heureux avec ça, mais de l’autre côté, il y a le téméraire, il y a celui qui, quoi qu’il arrive, il y va, sans considérer justement le, comment dire, sans même, comment dire, éprouver de la peur. Le courageux, donc, qui est au milieu de tout ça, entre ces deux extrêmes qui sont des vices, c’est de pouvoir être… pouvoir modérer sa peur par rapport au danger pour… parce que le courageux, l’homme courageux, donc l’homme dans sa plénitude qui est courageux, il éprouve de la peur, mais il est capable de la surmonter. Et je trouve qu’à travers cet exemple d’une vertu du courage ou de la force chez les Grecs, les anciens Grecs, eh bien on a parfaitement ce qu’on… un modèle qui peut être aussi applicable aujourd’hui entre ces deux extrêmes, entre le retour aujourd’hui à une sorte d’état sauvage parce qu’on refuse tout progrès, le progrès c’est le mal, et on revient avec une bombe atomique qui nous tombe dessus, ça nous aidera à lâcher des cavernes, et de l’autre côté une sorte de transhumanisme où finalement c’est l’ordinateur, l’intelligence artificielle qui va régir toutes nos vies. Voilà deux extrêmes. Et l’excellence de la médiété, si Aristote revenait de notre temps, il se prendrait la tête et dirait « mais qu’est-ce qu’ils ont fait, où ils en sont ? » Ça serait justement de ne pas refuser l’outil en tant que tel, alors pour l’intelligence artificielle on peut en reparler, Mais en tout cas d’utiliser, oui il y a du progrès et c’est bien, on n’a pas des obscurantismes en disant c’était mieux avant tout le temps, donc heureusement on a la chance de vivre d’une manière extrêmement bonne, enfin toi et moi en tout cas, en France ou en Angleterre ou aux Etats-Unis, pour la plupart des gens. Et donc ça c’est bien maintenant, ce n’est pas non plus faire n’importe quoi ou courir après des chimères technologiques qui nous promettent de travailler complètement à notre place ou réfléchir à notre place, c’est en ce sens-là que pour moi par exemple l’intelligence artificielle c’est une sorte de crime contre l’humanité.

Minter Dial : Alors on va parler, tu as publié au moins un tome de poème, ça je m’en souviens, mais là, en octobre l’année dernière, tu as sorti l’Abécédaire apocalyptique. Donc, pour moi d’abord, pourquoi en format Abécédaire ?

Bertrand Carroy : Parce que, en fait c’est venu, j’ai écrit ce petit pamphlet, essai, je ne sais même pas comment le qualifier, en tout cas l’Abécédaire pour la forme, en écoutant des informations, je vais d’ici de me replonger vraiment complètement dans les informations, et de cette écoute est venue une sorte de cri, une sorte de révolte, disant que ce n’est pas possible. On va dans le mur, et on le sait, ça fait plus de 150 ans qu’on est prévenu. On a des penseurs très intelligents, J’ai établi une liste d’une centaine de penseurs, philosophes, sociologues, qui nous avertissent, qui nous disent, attention, la société industrielle telle qu’elle est, ou telle qu’elle… ces grandes tendances, nous poussent à lier à une sorte de capitalisme effréné ou un libéralisme complètement dépourvu de morale, va nous mettre dans le chaos. Chaos social, chaos sociétal, planétaire, etc. Mais ça ne change pas. On ne change absolument pas. Et donc, devant ce… Qu’est-ce qu’il y a comme réaction possible de l’homme devant ce qu’il perçoit au quotidien ? Eh bien, c’est une sorte de colère, en fait. Chez moi, en tout cas, ça peut être de la tristesse aussi par rapport à ce qu’on a perdu, une sorte de passé idéalisé. Ça, je sais bien faire. J’aime beaucoup, mais non, dans le quotidien, c’est vraiment une colère parce qu’on voit le danger et on veut lutter contre, donc il faut de l’énergie pour lutter contre ça. Et donc la forme de l’anécdère, c’était la meilleure forme, me semble-t-il, pour que ces thématiques qui sont autant d’éléments qui composent ce paysage apocalyptique, au sens, on reviendra sur le titre du terme, de cette révélation, puissent s’exprimer sans qu’il y ait une sorte d’essai très construit intellectuel. Alors là, c’est plutôt des cris, avec à chaque mot un cri, en fait, c’est ça. Avec, de toute façon, des liens, parce que chaque chapitre renvoie… Quand on parle de la culture, bien sûr, on parle du pouvoir politique, quand on parle du pouvoir politique, on parle de la guerre, quand on parle de la guerre… Donc, ça s’attiche une sorte de toile, de réseau, au travers de cet A-B-C-D-R et de ces vacilles-lettres.

Minter Dial : Donc, en fait, avec 26 lettres, tu as une limite imposée et un choix qui doit se faire pour chaque lettre. Et puis, autant tu vas bien cibler la technologie au total. Enfin, tu le mets dans les lignes de mire, télévision, médias sociaux, les téléphones, machin. Mais j’aurais pensé pour la lettre P, tu aurais pu mettre pharmaceutique pour mettre en ligne de mire une industrie en particulier, une particulière qui contribue à cet apocalypse, en me semblant.

Bertrand Carroy : Oui, je l’ai utilisé dans Virus, en fait, à propos du virus, où je renvoie effectivement au rôle des laboratoires pharmaceutiques. Alors oui, c’est vrai que le choix, on ne peut pas dire qu’il est arbitraire, il est venu comme ça, ce n’est pas forcément un choix réfléchi. éjaculatoire, voilà, c’est arrivé comme ça, et petit à petit, en fait, c’est en écrivant ces chapitres que m’est venue, si tu veux, cette toile globale, sans qu’il y ait forcément un point d’entrée, on peut commencer par la lettre C ou par la lettre Z, peu importe, mais on revient avec des thèmes qui composent encore une fois ce paysage et on voit l’orage, on voit la tempête qui arrive, enfin en réalité on est déjà dedans.

Minter Dial : C’est certain que le fait que l’alphabet va dans un seul sens est un format qui te contraint à travers l’ABCD faire une histoire en commençant par ce que t’as choisi pour A, pour B, pour C. Est-ce qu’il y avait une lettre qui t’a contrarié le plus dans tout ça ?

Bertrand Carroy : Ah ben, si, le Q, parce que j’ai… En français, c’est pas très facile de trouver un mot commun qui puisse… J’ai pas vraiment pu regarder dans le dictionnaire parce que je voulais vraiment que ce soit quelque chose d’assez spontané dans sa forme. Et du coup, t’es arrivé canon pour le complotisme. J’ai trouvé ça assez pertinent, parce qu’on parle beaucoup de complotisme, des sphères complotisme, des platistes, etc.

Minter Dial : Nous, en Américain, on dit « à queue anon ».

Bertrand Carroy : Oui, alors moi, tu sais, je le franchise.

Minter Dial : Et ben voilà. Non, juste pour dire. C’est parce que la première fois que je l’ai vu, j’ai dit « tiens ». Mais alors, donc, « Apocalypse », donc tu vois, c’est une vision… on va dire négative aussi, donc dans l’apocalyptique. Quel est ton point de vue là-dessus ? Et plus important que tout, je suppose, qu’est-ce qu’il faut en faire ? Parce qu’être colérique, je le comprends complètement. En revanche, le fait est de constater les circonstances. Maintenant, comment faire ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Et ça, tu peux le faire du point de vue si tu es homme politique ou bien leader de grande entreprise ou juste leader de société.

Bertrand Carroy : Oui, tu as parfaitement raison. Alors, l’apocalypse, au sens religieux tel qu’il est dans les textes, notamment dans la Bible, c’est le terme de révélation. Et en fait, c’est finalisé par quelque chose de très positif, puisque c’est pour que le nouveau monde, la régénération du monde se produise. Alors, il y a des temps troubles, bien entendu, mais l’apocalypse marque justement la fin de ces temps troubles. pour arriver à cette nouvelle ère, le paradis, l’éternité, qui est une ère uniquement positive. Et d’ailleurs mon livre se termine par le mot d’espérance ou d’espoir, parce que c’est toujours au bout du tunnel qu’on voit la lumière, au fond du puits, qu’on ne peut que remonter. Donc là, on est vraiment dans des temps très troublés. Et encore, il faut relativiser pour nous, occidentaux, qui vivons avec pas de problèmes, on n’a pas pour l’instant encore de missiles qui nous tombent dessus ou de bombes qui quotidiennement peuvent nous blesser ou nous tuer. On a de quoi manger, beaucoup plus qu’à notre faim.

Minter Dial : Surtout en Bourgogne.

Bertrand Carroy : Et surtout en Bourgogne, tu as raison, et boire. Donc voilà, on n’a pas à se plaindre matériellement, mais on sent que les structures craquent de partout, de notre ordre, de ce qui fait notre société, et ça c’est préoccupant. À court terme, on le voit aujourd’hui, suite par exemple des événements de la fête suite à la à la victoire du PSG.

Minter Dial : Le reste sport.

Bertrand Carroy : Voilà, il reste sport. On sent que ça craque de partout, mais ce qui est encore plus inquiétant, c’est quel futur ? Nous, je ne sais pas si on sera encore là pour… pour voir le bout du bout, mais en tout cas pour nos enfants, ça c’est quelque chose d’assez dramatique. Et la question essentielle c’est que faire ? Parce que, encore une fois, les analyses, les réflexions très intelligentes pour décortiquer tout, il y en a des dizaines, des centaines, Et que faire ? Et il faut agir, en fait. Et le problème de l’action, comme tu le dis, c’est l’action politique, c’est s’engager en politique, et malheureusement, là encore, on est piégé, d’une certaine manière, parce que le système fait, j’ai écrit des articles contre les partis, par exemple, Je ne suis pas le seul, encore une fois, je ne suis qu’un lointain écho. Par exemple, Simone Veil a écrit un petit opuscule contre les partis politiques, Bernanot s’en traite dans La liberté pour quoi faire, que les partis nous obligent à finalement nous déshabiter de notre opinion pour essayer de rejoindre l’opinion tendance majoritaire. Et puis c’est la libre porte aussi à la manipulation, parce qu’à l’intérieur des partis, il y a des gens qui ont plus de pouvoir que d’autres, etc. Et de toute façon, tout ça, c’est finalisé par le pouvoir. Donc que faire ? Parce que la voie, comme tu le disais, habituelle, c’est d’entrer en politique. Or, on ne peut entrer en politique aujourd’hui qu’au travers des partis, sinon tu n’existes pas. Mais pour arriver à se faire entendre au travers des parties, il faut avaler tellement de couleuvres, avoir tellement de coups tordus pour oser espérer se monter dans la hiérarchie, que quand on y arrive, je crains qu’on soit, même si au départ on avait des intentions pures, singulièrement abîmés au niveau moral. Alors qu’on le soit, il peut y avoir des exceptions. Moi, pour moi, le dernier grand homme politique, c’est De Gaulle. Je l’ai connu, je devais être tout petit petit, mais dans ses écrits, dans sa stature, dans ce qu’il a voulu faire comme équilibre politique international, c’est vraiment… alors c’est pas un saint, c’est pas quelqu’un… mais voilà, c’était vraiment quelqu’un qui incarnait l’homme politique avec un grand… voilà, majeur.

Minter Dial : Oui, ce que tu dis là sur rentrer en politique avec des idéaux, idéologies ou des idéales, je ne sais pas si c’est des idéales ou des idéaux, mais le fait est que d’être politique c’est presque forcément corrompu, dans le sens où tu dois compromettre en tout cas, ce que tu avais pour y arriver, ensuite on te tient à des standards auxquels on ne se tient même pas nous-mêmes. C’est-à-dire, tu as dit pour De Gaulle, il n’était pas parfait. Ben, écoute, qui est parfait ? Et l’idée même de vouloir la perfection, non seulement c’est une lueur, c’est pas réaliste. Et le problème que tu as cité au tout début, c’est qu’on ne peut pas supporter la réalité.

Bertrand Carroy : Oui, c’est même dangereux. Ceux qui veulent être parfaits, la perfection, ce sont des hommes, ce sont des fanatiques, et qui sont éminemment dangereux, parce que justement, ils sont dans les extrêmes, au lieu de chercher la perfection, mais dans cette médiété, dans ce juste milieu, parce que l’homme, on est entre la boue de la terre et le ciel, on est à l’horizon, à ce plan d’intersection du matériel et du spirituel, on va dire ça comme ça, de l’esprit.

Minter Dial : Avant de rentrer dans quelques questions pertinentes, surtout dans ton livre, ce que je voulais refléter aussi, c’est qu’au début, on a parlé de déconstructionnisme, tout ce qui est déconstruit, mais on ne sait pas comment reconstruire. Or, dans l’apocalypse, il y a la notion de détruire pour reconstruire. C’est la créativité destructrice quelque part et ça ça fait partie du changement alors est-ce que en tout ça comment est-ce que tu vois quel type de piste on peut à quoi on a à recourir en sortant de cette période apocalyptique et je voulais juste faire une apparenté ce qui va peut-être rendre plus nuageux, mais j’ai écrit un papier peut-être d’une dizaine de pages en 93, et je l’ai donné le titre, je l’ai écrit en anglais bien sûr, The Apocalypse Soon, pour faire un peu différent du film Apocalypse Now, et l’idée en 93 de ce papier était une critique de la France. et je prévoyais l’apocalypse de la France. Le problème c’est que ça, ça fait déjà une trentaine d’années que j’y tords. Et donc voilà, je mets ça comme nuage quelque part, c’est-à-dire est-ce que le nuage, l’apocalypse en fait, il restait encore trentaine, cinquantaine, soixantaine, centaine d’années avant qu’on se reconstruise.

Bertrand Carroy : Alors, le temps de l’histoire, de l’homme, tu sais, ça fait le réchauffement climatique qui a permis les conditions, avec l’optimum climatique, qui a permis les conditions de l’émergence des civilisations. Je crois que c’est il y a à peu près 11 000 ans. Les premières villes, c’est 7 000 ans avant notre ère. Et les grandes civilisations telles qu’on les connaît, c’est entre l’Égypte et la Mésopotamie, on est aux alentours de 3 000 ans, tu vois, donc avant notre ère. Donc, à l’échelle humaine, l’homme de Néandertal, on est à des dizaines, centaines de milliers d’années. Alors nous, ça nous paraît, quand tu dis l’apocalypse soon en 93, ça fait que 30 ans. C’est rien à l’échelle de l’homme.

Minter Dial : À l’époque, je m’en souvenais de l’urgence que j’avais dans mon papier. Je me disais, Périnès, on est proche, ça brille, il y a de la fervence, il y a le côté très malheureux, malsain de la société, ce que je ressentais, mais on est tenace, on est résilient.

Bertrand Carroy : Oui, c’est ça, il y a une formidable inertie de l’homme, en fait, parce qu’on peut dater, encore une fois, depuis le milieu du 19e et depuis l’industrialisation, énormément de penseurs, Elysée Reclus, Walter Benjamin, même Tocqueville, d’une certaine manière, avec la démocratie en Amérique. l’analyse de l’Ancien Régime, nous alertent sur… Ils n’employaient pas le mot d’apocalypse, mais sur les gros problèmes que nous allions rencontrer, nous, êtres humains, et singulièrement en Europe. Peggy, en 1900, il y a un petit livre qui est sorti, c’est Barbarie et pornographie, mais ce n’est pas le titre, c’est le vrai titre qui a été écrit en 1909, c’est À nos amis, à nos abonnés. En 1909, mais décrit une situation vraiment apocalyptique. Mais j’ai l’impression que parfois, ce texte, dans cette barbarie, cette inculture croissante, dans ce désarroi des esprits et des mœurs, dans ce désastre de la culture, de plus en plus d’années en années, et pour de longues années peut-être, le grand public s’abandonne, et on l’abandonne, le public est abandonné à toutes les bassesses, à la pornographie, non pas seulement la pornographie grossière, vulgaire, basse, à la pornographie du ruisseau, à la pornographie des foules et des masses, à la pornographie populaire, à la pornographie de la plèbe, dont nos moralistes professionnels mènent tant de bruit, qui serait encore la moins dangereuse de toutes et presque naturelle en un certain sens, mais à la pornographie censément élégante et sociable, mondaine, pornographie de salon, du point de cheminée la plus pernicieuse de toutes, avec de la frivolité, de la fatuité, de la légèreté, etc., la fausse élégance. Et dit de tout ça, Barbarie est infiniment pire et plus dangereuse que l’obscénité même. Et de ce que sont devenues les mœurs politiques parlementaires électorales, de la corruption politique, il vaut mieux ne point parler. On est en 1909. 1909. Alors, le caractère prophétique de Péguy, c’est qu’il dit, ben 1870, je parle pour la France, on est des vaincus, on est une génération sacrifiée, et alors moralement, déjà, et 14-18, c’est le suicide de l’Europe. Pour moi, c’est vraiment, l’Europe s’est suicidée, là, avec toutes ses forces vives, dans chaque famille française, il y a des grands-parents, arrière-grands-parents, moi j’ai eu des arrière-grands-parents qui sont allés, donc 90% de la France je pense étaient paysannes agricoles, c’est pas mon cas, mon arrière-grand-père maternel a quitté la ferme familiale pour aller se battre dans les tranchées, en ressortir à moitié éclopé, et voilà. il y a eu l’ensemble des forces vives de notre pays, enfin des pays, la France, l’Allemagne et les autres, qui se sont vraiment sacrifiées, vraiment une sorte de sacrifice. Et là-dessus, on a eu la Deuxième Guerre mondiale, donc là, on s’est suicidé, et dans la Deuxième Guerre mondiale, on a plongé complètement, et la mort, on survit moralement, de manière civilisationnelle, par une sorte de coma artificiel. Les États-Unis nous ont bien entretenus, si je poursuis l’image, on est intubés de partout, grâce aux Américains, et puis c’est devenu… maintenant on est une sorte de cadavre en décomposition, on n’a plus de… les valeurs, entre guillemets, en tout cas les principes moraux, la conduite de la politique, etc. Tout ça fait que l’on est, encore une fois, depuis 1870, 1850, 150 ans on va dire, et on le sent chaque année d’une certaine manière davantage. Maintenant on a l’espoir qu’on puisse s’en sortir. Comment ? Je ne sais pas. Et en tout cas, face à ça, chaque homme, chaque être humain dirait « Ok, on est dans une situation, un cloac, c’est vraiment le bazar complet, mais qu’est-ce que je vais faire ? » Et chaque être humain a quelque chose à faire. Alors, dans le contexte, qu’est-ce que ça peut être ? Pour certains, selon les talents, c’est d’écrire, c’est de faire de la politique. En tout cas, on devrait tous, parce qu’on a la chance d’être en démocratie encore, même si cette démocratie est complètement faussée dans son jeu, et donc de faire entendre notre voix quand même, de pouvoir utiliser des leviers associatifs, représentatifs, pour essayer de faire bouger les choses. Maintenant je connais beaucoup de personnes qui disent de toute façon c’est fichu et donc on fait rien quoi. Alors moi je fais des choses, j’essaye de faire des choses. Toi aussi, voilà.

Minter Dial : En t’écoutant, Bertrand, j’avais envie d’évoquer deux livres. Un que t’as cité et sont cités, c’est le suicide de l’Europe, le suicide Ânge de l’Europe, écrit par Douglas Murray, qui est un journaliste anglais qui a vraiment mis les poings sur les îles là-dessus. Et évidemment, il y a celui qui est écrit par le Français, Éric Zemmour, le suicide français. Et en ça, il y a un côté, la fin de l’Europe et le fait que l’Europe est les bases sur lesquelles était l’Europe s’effondre et puis s’effondre et donc on n’a plus de repères on va dire pour le côté prétient nos racines qui sont liées à la religion, notre religion, et des racines culturelles pour être dans un monde illimité avec toute culture acceptée, l’américanisme de Yankee dont j’écris pas mal, mais aussi plein d’autres cultures, donc l’idée d’être une culture, un pays avec une espèce de spécificité au lieu d’être un espèce de gap, enfin la marque gap qui permettait toutes les couleurs et on est tous. À force d’être tout le monde, on n’est plus rien. Et puis juste pour… enfin moi, l’angle que j’ai en termes de solution, c’est de réhabiliter la conversation. Le salon, la conversation rugueuse où on peut se parler, et on en fait un espèce de psychological security, où on en fait un espace où on a le droit de dire des choses, on a même le droit de se fâcher tant qu’on reste respectueux dans la manière, et c’est ça qui me semble manquant. à la télévision, j’ai toujours trouvé les tables rondes en France, en tout cas, irrespectueuses. Heureusement, il y a des podcasts d’ailleurs, le Nouvel Esprit Public, par exemple, qui permet d’avoir des plus longs discours et on ne s’interrompe pas et on écoute jusqu’à la fin et on rebondit sur ce que l’autre a dit au lieu de juste dire ce que j’ai envie de dire par rapport à enfin pour confronter l’autre, parce que confrontation ça égale aux vues, ça égale à l’opinion, ça égale à l’étude, mais ça n’égale pas à la démocratie proprement parlée.

Bertrand Carroy : Tu as parfaitement raison, et la conversation, Théodore Zeldin qui a fait un petit bouquin qui s’appelait « L’art de la conversation » qui était un petit bijou, Et c’est exactement ça dont on a besoin au quotidien. On ne sait plus parler. Effectivement, le spectacle des médias montre des gens qui s’écharpillent, qui n’ont absolument plus de culture et qui en arrivent quasiment à la violence parce que le conflit, on peut être en conflit. Là, ce qu’il ne faut pas utiliser, c’est la violence, qu’elle soit verbale parce que c’est un manque de respect de l’autre ou carrément physique parce qu’on en est là maintenant. Et pourquoi on arrive aussi facilement à la comment dire, à la violence physique et verbale, c’est parce que souvent on n’a plus les mots, on n’a plus les moyens. Je suis atterré de voir, par exemple, tu as des études de sociologues qui montrent le nombre de mots utilisés ou de vocabulaire utilisé par les jeunes aujourd’hui. On a réussi, c’est cynique, à couper, vraiment à faire des générations, des générations qui sont nées surtout après 2000, qui sont nées avec le smartphone, qui connaissent que ça en fait, ils n’ont pas connu le monde d’avant. On en a fait, et c’est de pire en pire, des gens vraiment décérébrés. C’est dramatique parce que, tu vois, avec les enfants, je jouais au baccalauréat, tu sais, on prend une lettre, ça a lien avec l’abcdr, et on doit trouver le nom d’un prénom, un animal qui commence par A, un métier qui commence par A, et puis il y a célébrité. Eh bien, dans les célébrités, et c’est là où j’ai pris un coup, parce que moi je sortais mes Dickens, mes Beethoven, tout ce qui constitue ma culture occidentale, de vieille occidentale, et les trois jeunes qui étaient avec moi n’ont sorti que des noms d’influenceurs. de youtubeurs, de rappeurs.

Minter Dial : Normal.

Bertrand Carroy : Oui, oui, c’est normal. Mais tu vois, il n’y a plus de… Autant, je pense, que notre génération, on a un lien physique, charnel, culturel avec nos anciens. C’est-à-dire qu’on pouvait parler avec nos parents, avec nos grands-parents. On pouvait ne pas être d’accord pour des tas de choses, mais on avait un socle commun. Le socle a disparu. Enfin, il a disparu. En discutant, justement, avec des jeunes d’une vingtaine d’années, Ce qui est fou, c’est qu’à vous, de votre temps, pour préparer, vous étiez obligés de lire des livres. Aujourd’hui, ils nisent plus de livres. Des enfants, ils ont tous passé le bac. Aucun n’a, par exemple, pourtant Dieu sait si j’ai poussé, lire un livre de Balzac. Ou peut-être une ou deux. Tu vois, alors que, au moins, ça constitue, comme Dickens pour un Anglais, comme Goethe pour un Allemand. Non, il n’y a plus du tout. On a réussi à faire vraiment des barbares, au sens où il n’y a plus de passé, il n’y a plus de… voilà.

Minter Dial : Ma femme est en train de dévorer l’ensemble de la collection de Balzac. Elle l’a repris et ça…

Bertrand Carroy : Elle est extraordinaire.

Minter Dial : Elle est extraordinaire. Enfin, le côté moderne de sa compréhension de la société.

Bertrand Carroy : Voilà, la psychologie des gens, le vice, parce que c’est pas forcément gay, hein, Balzac ?

Minter Dial : Mais la vie, quand tu disais par rapport au bonheur au tout début, en fait, cette histoire de bonheur mérite souvent, car en fait, il faut être heureux, mais enfin, non, il faut savoir que la vie est difficile, remplie d’imperfections, de douleurs, de risques, de problèmes, et à la fin, la mort. Trouver de la gaieté à l’intérieur de ça ? Absolument. Mais être qu’à la recherche de ça, ou en faisant abstraction de ces autres éléments, l’imperfection et les douleurs, ben écoute, ça c’est pas la vie. On échappe la vie en faisant ça.

Bertrand Carroy : Oui, parce qu’en fait on se fait du bonheur, c’est la définition du bonheur, quand on lit l’éthique à Nicomac notamment d’Aristote, toutes les fausses définitions du bonheur. On est assez proche de celle du Sibarit, c’est-à-dire qu’on vit dans un monde de plaisir, où on n’a pas de souffrance et c’est piu-piu les petits oiseaux, tu vois.

Minter Dial : Et c’est pas ça le bonheur.

Bertrand Carroy : Pas du tout, pas du tout. Le bonheur, vraiment strictement, puisque c’est l’objet de l’éthique à Nicomac, c’est de mettre en œuvre ses propres vertus pour lutter justement contre des choses. Parce qu’il sait bien que déjà à l’époque, la vie n’était pas facile. et donc être juste, et donc être prudent, et donc être courageux, et donc savoir se réfréner, on appelle ça tempérant, contre les plaisirs sensibles.

Minter Dial : Alors, je veux terminer, Bertrand, sur des sujets plus terre-à-terre, on va dire, parce que ton métier, et le mien, est souvent de confronter ou parler avec des leaders d’entreprises, et dans ce monde-là, tu parles beaucoup de perte de repères et de perte de cohérence, Comment est-ce qu’un leader d’entreprise, que ce soit grand, moyen, moyenne taille, devrait s’y prendre pour ne pas être condamné pour ne pas être authentique, ou condamné pour ne pas être suffisamment éthique, ou ne pas bien faire suffisamment, ou ne pas amener suffisamment de bonheur ? Tu parles dans ton livre justement de la performance comme étant C’est parce que l’U.E.U.R. est un… Jolimont a parlé de « le gouvernant girouette à la boussole aimantée par la finance ». J’ai adoré cette expression.

Bertrand Carroy : Le monde financier complètement décorrélé des réalités a pris le pas sur tout le reste, la quantification massive. On va dans une course effrénée à la performance et au progrès matériel d’ailleurs. Tu remarqueras, c’est toujours le progrès matériel, ce n’est jamais le progrès spirituel, parce que le progrès spirituel, à mon avis, par rapport à moins de 1000 avant notre ère, on n’a pas bougé. On va peut-être revenir au monde des visigots, où ils s’écharpaient les uns après les autres. Donc, pour le leader, un c’est compliqué parce que ça dépend, il faut choisir une entreprise dans laquelle il peut s’exprimer vraiment, ce qui n’est pas forcément évident quand on est avec les bid’as toujours en ligne de mire, parce qu’on est en… comment dire, dans des procédures de rachat où il faut revendre l’entreprise, le LBO, avec le maximum de bénéfices. Qu’est-ce qu’on peut faire là ? Rien. Si, on peut humaniser les choses. C’est la raison pour laquelle moi, pendant des années, effectivement, j’ai travaillé même dans d’autres entreprises où a priori, ou certaines banques où a priori, je n’aurais pas voulu travailler. Mais j’ai fait en disant, au moins, on humanise les choses, on essaie d’humaniser, que les gens, Ils comprennent que des managers, des leaders comprennent qu’en dessous d’eux, ce n’est pas simplement des abrutis, qu’il y a de l’intelligence, qu’il faut simplement laisser s’exprimer, sans que ce soit une démocratie bien entendu, mais que chacun a des bonnes idées et que surtout le respect de l’autre, ça implique un certain nombre de choses. Mais moi je me suis aperçu que les années 90, 2000, c’était un peu le Far West, au sens positif du terme, c’était une sorte de liberté, il y avait plein d’initiatives. Depuis le début de la crise de 2008, il y a un durcissement dans les entreprises terribles, avec une reprise en moins de KPIs, d’indicateurs financiers absolument très très contraignants, et les leaders là-dessus, il y a de moins en moins de manettes. Alors on peut choisir effectivement, Je pense que c’est le choix de son entreprise. Alors les jeunes le savent davantage. Par exemple, ils ne veulent pas travailler pour une entreprise qui ne correspond pas à leur propre valeur. Donc ça, c’est une chose plutôt positive, puisque du coup, ça les met plus à même d’avoir une vie professionnelle en alignement, là où il pouvait y avoir une schizophrénie complète pour les gens de notre génération, notamment. Donc il y a ça. Et puis ensuite, oui, moi, J’ai toujours dit que les anciennes vertus cardinales pour un leader, c’est une source sans fin et de méditation et d’action. Donc la prudence, par exemple, l’acte prudent, la décision prudente, qu’est-ce que c’est ? L’évaluation des circonstances, donc le rapport à la réalité, et pas simplement uniquement des tableaux Excel qui dominent et qui essayent de mettre la réalité dans ces tableaux Excel. Et avec la digitalisation, on a des exemples quotidiens qui devraient simplifier les choses alors qu’en fait ça ne fait que rendre plus compliquées encore ces choses-là, dans l’administration, la bureaucratie. Donc la prudence, l’être prudentiel, le courage, dire les choses, c’est pas être copain avec tout le monde, on a peur de le manager, il devrait être courageux, on devrait avoir des cours de courage, alors c’est pas des cours bien entendu. Et c’est le problème de la formation, et c’est pour ça que je quitte de plus en plus ce monde-là, parce qu’entre le système Datadoc et tout ce qui est les OPCA, pour être caliopi maintenant, qui ne correspond pas du tout à la réalité de l’être humain, et puis la pression financière de l’opérationnel qui dit qu’on ne peut pas dégager deux heures, enfin allez, on peut dégager deux heures, mais certainement pas une journée, encore moins six jours, pour former complètement les managers à des aspects d’anthropologie et de psychologie humaine et d’éthique, eh bien, on est face à une sorte de mur, quoi, parce que la conjonction de cette administration fait que, ben oui, un manager, ça se forme pas comme ça. Je dis, ben, vous voudriez avoir des hypnotiseurs, des gens qui vous hypnotisent et qui fassent exactement comme vous voudrez. Ça, c’est le rêve de tout DRH, le directeur social de la formation. Mais non, et Aristote parlait comme un sportif, dans l’analogie du sport, un sportif il ne devient pas bon parce qu’il a reçu une formation de deux heures sur comment courir le 100 mètres, c’est parce qu’il s’entraîne tous les jours, et il n’y a pas d’espace, on ne conçoit pas dans notre société l’éducation des managers, entre l’éducation au sens éducation bien sûr continue, formation continue, sur cette base-là, en disant, ben non, il faut qu’ils pratiquent, qu’ils reviennent, qu’ils pratiquent, et aider, accompagnés par des gens qui ont un peu plus de recul et qui permettent d’avoir un effet miroir par rapport à ça. Et avec un peu de théorie aussi, parce que derrière, c’est quelle est la vision de l’homme, et de raccrocher tout ça pour qu’il y ait une vision cohérente. Mais non, on veut des gens qui sont fractalisés, qui sont exposés de partout, qui courent dans tous les sens, qui surtout ne réfléchissent pas, et par contre, le critère uniquement financier, performance, C’est compliqué.

Minter Dial : J’ai envie de dire, si je réfléchis à mon côté sportif, car j’estime le sport étant un moyen extraordinaire d’éduquer son être, son corps, comment perdre et des choses comme ça, il faut savoir accepter l’ennui. C’est-à-dire, il faut faire une mille coup de revers le long de la ligne au tennis, ou je sais pas quoi, mon padel, sans bandeja de suite, et donc accepter l’ennui, et ça me rappelle une autre histoire, qui est la préparation des seals avant de faire buter Osama bin Laden. Et ils ont construit exactement le même endroit, et ils ont fait des centaines d’exercice. Et on peut imaginer certaines personnes dire « Pourquoi il faut faire ça encore ? » Eh bien parce qu’on ne sait pas. Et perfectionner dans un monde chaotique, douteux, où on ne sait pas ce qui va se passer, ce qui est la vie, c’est par la pratique qu’on y arrive. Et avoir cette ennuie de dire « Ah ! » une centième et une fois de refaire le truc, c’est comme ça qu’ils ont réussi leur mission. car en fait les merdes se sont arrivées, l’hélicoptère a scratché, le deuxième n’a pas été par le haut mais par le bas, tout a été différent. Mais grâce au fait qu’ils ont fait ce travail ennuyeux de faire ça deux jours le lendemain, chaque fois, ça revient sur presque le besoin de robotiser le travailleur, et reprenons un mot qui est l’alignement, mais l’aliénation au travail. On a beau vouloir être aligné, mais il y a une aliénation, car en fait, plus personne est heureux, plus personne se sent satisfait dans son travail. Et alors que tu parles, enfin, tu as une espèce de nostalgie, je pense, pour le temps du passé, le sens que le travail pouvait y apporter. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’un leader peut faire pour redonner du sens, pour ses employés, même son board, qui est une vie plus performante, tout en étant plus riche ?

Bertrand Carroy : Pour les boards, je suis extrêmement sceptique, parce que c’est un peu comme les partis politiques, pour arriver à un board, il faut avoir son chemin derrière soi pavé de sang, bien souvent, bien souvent. Pas toujours, mais bien sûr. Et pour avoir animé quelques séminaires de direction, le pouvoir, Il y avait le pouvoir, la concupiscence, et donc les plaisirs, le pouvoir et la richesse qui sont les trois mamelles sataniques, les trois démons.

Minter Dial : J’allais ajouter l’argent, donc.

Bertrand Carroy : Oui, c’est ça, la richesse. Mammon, Asmodée et Belzébuth, c’est les trois créatures maléfiques. Et le Borde, très clairement, est à la conjonction du pouvoir et de la richesse, et donc c’est très très dur de pouvoir, et les seuls, j’ai réussi une ou deux fois, mais il faut que tout le monde soit unanime, et rarement un board est unanime sur ces sujets-là. On peut avoir quelqu’un qui est une sorte de président et de directeur général un peu éclairé, mais en dessous il y a deux, trois qui poussent, et qui sont d’accord de surface, mais ils ne sont pas du tout d’accord sur le fond. Donc pour le leader ou le manager, c’est de tenter d’humaniser les choses, simplement d’humaniser. Pour moi c’est la seule chose, et d’essayer de lutter tant que faire se peut, mais c’est compliqué parce que toute la société, quand je dis la société, l’organisation du travail est tournée vers la performance, est tournée pour donner un maximum aux actionnaires, un maximum… Et non pas que je suis contre un capitalisme ou contre le libéralisme, contre tous ces léismes-là, mais simplement c’est pourquoi tout ça ? Pourquoi ? Et si c’est pour l’homme et pour qu’il y ait aussi une certaine justice sociale, avec une répartition à minima pour pas qu’il y ait des gens qui soient multimilliardaires et puis des gens qui crèvent la fin dans un même pays, voire même dans un quart même quartier, comme ça se passe à Paris aujourd’hui. Oui, bien sûr qu’il y a des rééquilibrages, mais ça commence déjà par que chacun puisse faire autour de soi. à sa petite mesure, dans ses sphères, et puis en essayant, enfin, pas à sa petite mesure, à la mesure maximum de ce qu’il peut faire. À la plénitude de… Voilà. Et de s’épanouir soi-même, c’est-à-dire d’écouter ce qui peut… On a tous des potentialités, des richesses, et il faut les développer. Si on ne les développe pas, ou si on les développe à côté, on se force à développer selon un moule. Et c’est l’histoire des écoles de commerce, par exemple, ou des écoles d’ingénieurs, qui forcent… Mais on ne sait pas soi-même, on n’est pas… Bref, donc faire ça, déjà, c’est pas mal. Et puis, sinon, c’est un retrait. C’est-à-dire le retrait de dire quand on peut. Il y a un certain nombre de gens qui, déjà, disent, ben voilà, moi, j’ai connu plusieurs, disons une fin de trentaine d’années, début de quarantaine d’années, qui ont investi dans l’immobilier et qui, simplement, se retirent. Ils gèrent juste l’immobilier. Ils ont des moyens relativement… Ils n’ont pas besoin de gros moyens. et ils arrêtent de travailler dans la société parce qu’ils disent de toute façon moi ça m’intéresse pas. Voilà, c’est les deux tendances que j’ai pu observer, alors il y en a bien sûr beaucoup d’autres, mais en tout cas l’un qui dit voilà je vais essayer de faire à ma petite mesure ce que je peux, et l’autre qui dit de toute façon la situation est fichue et je veux pas contribuer encore à rallonger la durée de vie de ce système qui est de toute façon pourri, et je me retranche, et je fais juste que vivre.

Minter Dial : J’ai envie de rentrer dans un élément qui est cette espèce d’unanimité dont tu as parlé. En revanche, je pense qu’on a quand même besoin d’avoir un manque d’uniformité dans ces moules dont tu parlais, et que le gros problème, et ça je pense que c’est vrai pour le pays tout comme pour les entreprises, les sociétés, c’est d’avoir une raison fondamentale dont tu as parlé, qui allient les forces à l’intérieur, qui allient des différents points de vue, car ça, ça fait la richesse. En revanche, et ça c’est le paradoxe, le grand paradoxe de tout ça, que ce soit pour le pays ou pour l’entreprise, il me semble qu’on devrait réhabiliter l’exclusivité que de parler que de l’inclusivité. Car en fait, ce que je dis n’est pas politiquement acceptable, mais de dire qu’on aime tout le monde et veut tout le monde, c’est une niaiserie totale. Donc, l’exclusivité fait partie de notre être. On n’a pas plus de 130 personnes que l’on connaît bien, 5 amis. Non, mais on n’a pas des milliers d’amis, on n’a pas des centaines de grands amis. Donc, on est forcément dans une exclusivité, ça va de même pour les la personne qui gère une entreprise, donc je ne vais pas embaucher qui que ce soit, et pour un pays, je ne devrais pas accepter qui que ce soit. Et donc on devrait réhabiliter l’exclusivité autour d’une raison fondamentale.

Bertrand Carroy : Ça donne du sens, tu vois, c’est l’enracinement. Simon Veil a écrit un magnifique livre là-dessus. Aujourd’hui, nous sommes tous des déracinés, la plupart d’entre nous. On est des déracinés. La condition humaine, c’est pas d’être déraciné. On est des êtres vivants, on a besoin de racines qui sont bien dans la terre. Et comme tu le dis, ces racines, c’est toujours accepter sa finitude, c’est accepter que, oui, douze mille amis, relation, c’est n’importe quoi, mais on est sur une autre logique, c’est pas la logique humaine. La logique humaine, c’est, Aristote, on a deux, trois, très bons amis, des amis intimes, on ne peut pas en avoir plus. Après, on a des amis, des bonnes relations, et on peut connaître effectivement jusqu’à une centaine, deux cents personnes, il n’y a pas de problème. Mais après, non, on est dans quelque chose de différent, et on a besoin de retrouver, comme tu le dis, alors j’aime bien ce que tu dis là, comme exclusivité et donc d’inclusivité, et on en a un besoin, ça fait partie comme l’art de la conversation, de revenir à l’exclusivité, c’est nécessaire, c’est nécessaire pour nous, pour notre avenir, pour notre humanité.

Minter Dial : Avec ces jolis mots Bertrand, je te remercie de partager avec moi, j’aime beaucoup tes références, j’ai noté plein, tu vas m’aider tout à l’heure pour reconstruire des show notes avec des liens propres, mais surtout pour les écouteurs qui nous ont suivis jusque là, Comment est-ce que quelqu’un peut s’octroyer tes livres ? Ou te contacter s’ils ont envie de t’avoir comme conseiller ?

Bertrand Carroy : Pour les livres, l’Abécédaire tu le trouves à FNAC. Par exemple, typiquement, Je peux dire, bah oui, il est sur Amazon, il est à lafnac.com, vous pouvez l’acheter. Mais le mieux, c’est d’aller voir son libraire, de faire vivre son libraire, son libraire de quartier, de la ville. Alors oui, les délais sont plus longs, c’est sûr. Il faut même sortir de sa chaise, marcher au magasin. Ça c’est pour le livre, et pour l’aspect professionnel, sur LinkedIn j’ai un profil qui est à jour, donc on peut me contacter par LinkedIn.

Minter Dial : Avec cela Bertrand, je te remercie beaucoup, c’est un plaisir, et puis qu’on arrivera à partager des mails, et une bonne bourgogne la prochaine fois.

Bertrand Carroy : Tu es le bienvenu.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *